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Biblio-Infinie

  • : biblio-infinie
  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

Bonne lecture!

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7 novembre 2007 3 07 /11 /novembre /2007 23:44
Le combat sur un blog, c'est de le mettre à jour : non que ce soit désagréable ou que cela suscite une souffrance particulière, mais j'ai placé la barre particulièrement haut. Trop haut sûrement. En quantité notamment (pour chaque livre). Alors, afin d'une troisième fois ressuciter mon blog, j'ai décidé d'un commun accord avec moi-même d'adopter des compte-rendus plus synthétiques. Plus rapides. Parce que je lis beaucoup et que tous les livres ne méritent pas forcément une fiche très détaillée. Notamment les romans. Notamment CE roman.

Gary... songeur.

Romain Gary, un auteur que je pensais apprécier, a écrit ce roman dans les années 70, alors qu'il souffrait déjà du dédoublement de sa personnalité littéraire. Emile Ajar se dirigeait vers le Goncourt et Gary vers une tragique sortie.


Il s'agit probablement du roman le plus difficile à appréhender de toute son oeuvre. L'histoire? Un ambassadeur de France à Rome rejoue la scène anticipée de son éventuelle rencontre préméditée avec la fille d'un pseudo amour de jeunesse, possible fruit de son imagination, au moins partiellement, pendant 500 pages. Vous n'avez rien pigé? C'est normal, rien de clair, rien de certain dans ce livre. La jeune fille, par exemple, est peut-être sa propre mère, peut-être une chimère inventée par un ambassadeur qui commence à sérieusement yoyoter du couvre-chef, peut-être réelle. Les personnages évoluent dans des dimensions contraires en permanence. Le lecteur ne comprend pas ce qu'il se passe, ne sait pas de quoi parle le livre et finit perdu complètement. L'ambassadeur Danthès doué du don d'ubiquité marche dans le salon d'un palais abandonné, passe aussitôt à son bureau romain avant de rêver, ou de vivre, ou d'anticiper son passé ou son avenir, on ne sait pas. L'amour de jeunesse en veut absolument à l'ambassadeur, mais n'existe peut-être pas, création chimérique du personnage central comme (c'est la théorie de l'auteur) la culture est l'alibi chimérique qui sous-tend l'Occident. Evidemment, quand un auteur tente quelque chose d'aussi ambitieux, il joue à la roulette russe. On charge le revolver de plusieurs balles et on prie pour gagner...

Le livre...

Ici Gary a perdu. Car ce qui aurait pu être une formidable destructuration du travail romanesque, un jeu d'écriture de grande portée, un essai sur la culture et la connaissance finit sa course comme le plus vulgaire pensum.

La thèse du livre, l'inutilité de la Culture (avec un grand C) est assénée à grands coups de parpaing, étalée sur des dizaines de pages qui se répètent et semblent articulées avec une truelle. On revit dix fois la même scène, avec d'infimes variations (quelques mots qui changent), sûrement placées là pour montrer que l'ambassadeur rêve ou fantasme et que chaque rêverie est une chimère, ni tout à fait la même, ni tout à fait autre.
Beauté de l'écriture, finesse du style, poésie des mots qui s'entrechoquent diront ceux qui aimeront. Personnellement, j'aime l'usage d'une belle langue, mais quand l'auteur est lyrique à la moindre description d'une tasse de café, ça en devient insoutenable. Et pourtant Dieu sait qu'en principe Gary a du style. Là je trouve qu'il passe vraiment à côté. Ou alors avec 300 pages de moins...

Enfin, s'il s'agit d'un audacieux exercice de style, je le trouve raté : aphorismes verbeux, descriptions pompeuses, artificialité complète des personnages, variations infinies qui ne sont que l'écho d'un vide toujours renouvelé, lenteur qui se transforme en langueur puis en longueurs (au pluriel!)...

Je sais, par recherche personnelle, que certains ont adoré ce livre et y ont vu un chef d'oeuvre. Peut-être n'ai je rien compris? En tout cas je n'ai pas aimé, et ce n'est pas faute pourtant d'apprécier la littérature capable de déconcerter...

Au final, un jeu intellectuel plutôt vain...


PS : si, quand même, magré tout une phrase du livre vaut d'être sauvée :
"Danthes savait en effet que chacun de nous a 2 existences : celle dont il est lui-même conscient et responsable, et une autre, plus obscure et mystérieuse, plus dangereuse aussi, qui nous échappe entièrement et qui nous est imposée par l'imagination souvent hostile et malveillante des autres"
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14 mai 2006 7 14 /05 /mai /2006 23:52
Retour sur le blog après deux semaines de "vacances". Je suis très occupé en ce moment et je n'ai pas pu lire autant que je l'aurais souhaité, malheureusement. Cependant, j'ai eu le temps d'achever la lecture de cet ouvrage de Fénelon (1651-1715). Je dois reconnaître que sa lecture fut plus longue que prévue. La langue ne présentait pourtant pas de difficultés particulières. Mais certains passages étaient un peu ennuyeux et didactiques. Forcément... En effet, ce livre a été écrit par Fénelon pour l'éducation, j'oserais même dire l'édification, du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV et second héritier du trône. Succédant à Bossuet (précepteur du Grand Dauphin), Fénelon voulait former le duc avec un mélange de deux apports incontournables : celui de l'Antiquité et celui du christianisme. Les tableaux antiques se mêlent, avec un bonheur inégal, à des propos chrétiens et donc anachroniques. Bossuet, alors très influent, n'appréciera que peu cette symbiose hasardeuse. Cela s'ajouta aux différents griefs que l'êvèque de Meaux nourrissait déjà à son encontre - et la publication imprévue des Aventures de Télémaque entraînera au final l'éloignement de Fénelon de la Cour et la fin prématurée de son préceptorat.

Néanmoins, le livre gagnera au XVIIIe siècle une redoutable postérité. Car la mythologie que dépeint Fénelon, même si elle est inspirée, sinon copiée de passages entiers de l'Odyssée d'Homère et de l'Enéide de Virgile, s'éloigne fortement des seuls canons antiques. Elle tient lieu d'arrière plan à une série d'enseignements que n'ignorèrent pas, par la suite, les lettrés du "siècle des lumières". La richesse de la mythologie antique a souvent servi les dramaturges et les écrivains au cours de notre histoire littéraire. Et Fénelon prend cette base comme un point de départ à une entreprise plus vaste : initier à la culture antique tout en formant un futur souverain chrétien. Et si possible un souverain qui n'agirait pas comme son grand-père, qui aurait plus de sagesse et de discernement, plus de bonté et de sens du devoir. Bref, derrière les aimables leçons dispensées tout au long des 400 pages, Fénelon dresser en creux une satire et une critique du règne de Louis XIV. Certains passages, concernant le Tyran Pygmalion et sa maîtresse Astarbé, ressemblent même à un réquisitoire contre le couple Louis-Maintenon. Personne ne s'y trompa alors, le récit de Fènelon résonnait des dramatiques fautes commises par Louis XIV après 1680.

En conséquence de quoi, la publication de ce livre entraîna l'éloignement immédiat de son auteur et son bannissement de la Cour. Cette critique du "roi-soleil" fit cependant la renommée et la gloire des Aventures de Télémaque au long du siècle suivant.
 
Fénelon



L'histoire n'est évidemment qu'un prétexte à la leçon. Télémaque, fils d'Ulysse, a fui Ithaque dans l'espoir de retrouver son père, disparu depuis la Chute de Troie. Ce dernier erre en Méditerranée en raison de sa contribution décisive à la victoire grecque face à Priam, qui l'a brouillé définitivement avec les dieux Venus et Neptune, partisans des troyens. Ils ne cessent de dresser des obstacles à son retour à Ithaque ; leur courroux s'étend même à Télémaque et à son compagnon d'infortune, personnage vieux et sage, Mentor. Ce dernier, qui a pour mission d'éduquer le jeune héritier, l'aidera tout au long du livre. Il s'agit en fait - mais Télémaque ne le sait pas - d'une incarnation de Minerve/Athéna, déesse de la sagesse. Durant ses multiples aventures, Télémaque sera confronté à l'ensemble des dangers qui peuvent détourner un roi de son objectif, qui, pour Fénelon, est d'assurer le bonheur de ses sujets (tâche ingrate s'il en est affirme-t-il d'ailleurs à plusieurs reprises). Télémaque découvrira successivement la passion amoureuse - que Fénelon rejette par sagesse philosophique plus que par moralisme chrétien -, la tyrannie, l'exil, les courtisans, les ministres, les dieux - la rencontre avec Pluton/Hadès dans les Enfers est un des meilleurs passages d'aventure du livre - , mais aussi la diplomatie, l'économie ou encore la guerre. Quant à Ulysse, objet de cette quête, il n'apparaît qu'à l'extrême fin, sous une autre identité, comme si dans tout voyage, le parcours importait plus que la destination.


Mentor et Télémaque rencontrent Calypso (scène d'introduction du livre)


Composé de 18 livres d'égale longueur, la leçon de bon gouvernement dispensée par Fénelon peut se résumer en quelques phrases. Le roi doit se soucier principalement du bien-être de ses sujets et veiller sur eux comme un berger sur ses moutons (métaphore hautement biblique) - et non se perdre dans les illusions de la gloire militaire ou architecturale. Le roi doit prôner, par l'exemple si possible, une vie tempérée et saine, gouverner en écoutant les critiques des plus sages, savoir se méfier des courtisans et des flatteurs, mener la guerre en faisant confiance à ses généraux les plus méritants et non à ceux qui savent le mieux le manipuler, demeurer pieux et se méfier des passions... A priori, rien de bien original si l'on considère cela d'un regard lointain et ancré dans notre époque. Sauf que celui à qui est destinée cette oeuvre d'édification morale et politique a sous ses yeux l'exemple inverse, celui d'un Louis XIV vieillissant, dispendieux et tyrannique, entouré de flagorneurs et de mesquins... Fénelon n'ose cependant pas pousser le trait jusqu'à mettre en accusation le roi lui-même. Il préfère s'attaquer à son entourage, et encore, avec discrétion - on devine parfois des traits de Louvois, de la Maintenon ou encore de Bossuet derrière tel ou tel. Plus que les personnages, ce sont néanmoins les situations rencontrées par Télémaque qui renvoient en écho aux réalités des années 1680-1690.

Un bon exemple : Idoménée, héritier du trône de Crète, chassé pour avoir sacrifié son fils aux Dieux, est devenu par la suite roi de Salente. Au moment où Télémaque et Mentor débarquent dans son royaume, il est en guerre contre tous ses voisins, qui veulent le vaincre avant qu'il ne les attaque... Car Idoménée a construit des forteresses aux marches frontalières de son territoire, après une série d'annexions sans véritable fondement moral. Il se justifie alors, sous le regard sourcilleux de Mentor, par un souci de protection qui dissimule mal des ambitions d'expansion. Et c'est ainsi qu'il effraie ses voisins qui ne le laisseront pas en paix tant qu'il n'aura pas renoncé à ses prises de guerre. Pour ceux qui connaissent un peu le règne de Louis XIV, Vauban, les réunifications et la guerre de Dévolution apparaissent clairement. Mentor/Minerve convaincra Idoménée de renoncer et Télémaque parviendra à négocier la paix.
Ensuite Mentor recadrera le gouvernement d'Idoménée en supprimant les travaux somptueux, les frais de Cour, en adoptant une mode vestimentaire et culinaire sobre. Versailles, Versailles, Versailles,...



La Cour


Le grand défaut du livre, il faut bien l'avouer, ce sont les longues pages didactiques de Fénelon concernant l'économie, la guerre et "la bonne gouvernance" - pour utiliser un pléonasme anachronique. Fidèle à sa mission de précepteur, conscient que l'éducation, c'est avant tout la répétition, Fénelon serine ses leçons, les réitère au fil des Livres et endort parfois un peu le lecteur d'aujourd'hui. En outre, les solutions qu'il prône, si elles sont moralement estimables, se départissent difficilement d'une certaine naïveté, en matière d'économie surtout. A lire par petites doses, indubitablement... Surtout que la langue, plus lisible que je ne le craignais, est toutefois un peu trop riche de superlatifs et d'envolées lyriques parfois indigestes.
En contrepoint, il faut bien reconnaître que Fénelon est parvenu à me donner l'envie de me plonger dans la mythologie. Il n'est pas de grands mythes qu'il n'ait évoqué, attisant souvent ma curiosité. Les notes de bas de page m'ont d'ailleurs bien aidé, car le lecteur que je suis dispose d'une culture classique étique. Hélas!


En conclusion, je dirais que Les Aventures de Télémaque furent une bonne lecture, mais à aborder après une petite plongée dans la mythologie et dans l'histoire du règne de Louis XIV.


P.S. : le duc de Bourgogne est mort en 1712, un an après son père et peu avant son fils aîné - soit les trois héritiers de la couronne de France. L'oeuvre d'édification n'aura donc pas servi à celui à qui elle était destinée!

re P.S. : j'ai beaucoup aimé un passage en particulier où Fénelon dit :
"
La condition privée, quand on y joint un peu d'esprit pour bien parler, couvre tous les défauts naturels, relève des talents éblouissants, et fait paraître un homme digne de toutes les places dont il est éloigné. Mais c'est l'autorité qui met tous les talents à une rude épreuve et qui découvre de grands défauts."
Voilà une belle leçon que certains de nos aspirants gouvernants devraient mûrir.


 
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17 avril 2006 1 17 /04 /avril /2006 11:31
Oui, je sais, ce n'est pas très original pour une première recension. Tout le monde est censé avoir lu ce petit roman de 140 pages, ou au moins savoir de quoi il parle. Je reprend à peine contact avec le monde de la littérature après des années de dégoût relatif de tout ce qui est romanesque. Forcément, je reviens auprès des classiques que je suis désormais capable d'apprécier à leur juste valeur, enfin je l'espère. En principe, en ce moment, un livre que je lis sur trois est un classique... et par classique, j'entend aussi bien Rabelais, Voltaire, Huysmans, Gide ou Gary que les écrivains dont on s'évertue à vous dégoûter à l'école (Hugo et Flaubert notamment). Bref, ce roman de Mauriac est un classique de la littérature de l'entre-deux-guerres.



François Mauriac


L'histoire est relativement simple. Je savais qu'il existait au fin fond de la Creuse ou du Cantal, des endroits isolés de tout. Apparemment, en Aquitaine, il est possible d'en trouver aussi, ils sont appelés dans mon jargon des "trous". Et c'est dans un de ces trous que se tient, peu avant la première guerre mondiale, l'histoire du livre. Bernard Desqueyroux est un gentilhomme propriétaire de grands terrains dans un coin perdu d'Aquitaine, appelé Argelouse. Il passe son temps à chasser, boire, manger et amasser son argent. Bref, un personnage hautement "sympathique", pur produit de la ruralité, individu pré-moderne, qui n'a aucune psychologie et qui ne pense qu'à l'argent. C'est un homme assez simple et naïf. Pour agrandir le terrain familial, ses parents se sont entendus avec les parents de l'héroïne, Thérèse. En effet, par le mariage de Bernard et de Thérèse, ils espèrent une union fructueuse qui étendra l'influence et les richesses des deux clans. Le problème, c'est que Thérèse ne peut pas supporter Bernard, qui est dépeint, par les yeux de Thérèse, de manière très négative : il est un monstre d'inculture et de bêtise tout au long du livre, comparé à elle. C'est d'ailleurs une des forces du roman que de nous plonger dans les méandres du ressentiment de Thérèse contre son mari.

Ressentiment qui est tellement fort qu'elle va jusqu'à l'empoisonner avec l'arsenic que Bernard est censé prendre en petites quantités. Une goutte de plus par-ci, quatre gouttes de plus par-là, Bernard se sent alors un peu patraque, puis clairement malade. Malheureusement pour Thérèse, car on en vient à prendre parti pour elle, le médecin familial se rend compte de tout cela et Thérèse finit devant un tribunal... Elle n'est d'ailleurs même pas condamnée, la peur du scandale ayant poussé son mari à produire un faux-témoignage.


Le roman s'ouvre sur le retour de Thérèse à Argelouse, après ce procès. La première partie permet à Mauriac de remettre en place toute l'histoire que je viens rapidement de résumer. La seconde raconte la claustration de Thérèse par son mari qui, méfiant, la tient enfermée dans sa chambre. Les pages qui racontent le glissement de Thérèse dans l'apathie et la quasi-folie sont magistrales. Cependant Bernard Desqueyroux finira par libérer sa femme, en partie parce qu'il en a peur, en partie parce qu'il a compris qu'il ne sert à rien d'essayer de la contraindre à vivre recluse... ce serait la tuer. Et faire jaser le pays, ce que Bernard craint le plus. Le dernier chapitre raconte la libération de Thérèse à Paris. Une fin qui paraîtra optimiste à toutes les lectrices (et à tous les lecteurs, mais ça, encore, je n'en suis pas si certain).

Petit avis sur la question

Or, l'incapacité de Thérèse à trouver la foi, à transposer son malheur dans une transcendance spirituelle (qui aurait pu avoir lieu lorsqu'elle était recluse à Argelouse, à la manière des prophètes partis marcher dans le désert) est justement ce qui la condamnera ensuite, après que le roman se soit terminé, à errer dans la chair, dans les affres d'une vie matérielle tournée vers le précaire, le charnel, le contingent. C'est toute la patte de l'écrivain authentiquement catholique que fut Mauriac qui se révèle ici. Dans une société urbaine profondément marquée par la tentation de la chair, dans une société où chacun est censé se construire soi-même selon ses propres règles, à son bon plaisir, de façon anonyme, individuelle et détachée de toutes les contraintes familiales et sociales de la vie rurale, l'absence de Dieu contraint l'être à errer. Il se perd d'autant plus qu'il ne vit pas une transcendance, car pour Mauriac, il est des êtres, dont Thérèse, qui sont incapables de trouver en eux-mêmes les ressources de la foi, des êtres que jamais la grâce ne touchera. D'ailleurs, c'est impressionnant de voir la faculté de l'écrivain croyant qu'est Mauriac de se glisser dans la tête d'une athée opposée à toute mystique.

Et pour les gens comme Thérèse, la vie familiale et rurale ne peut être qu'un carcan culturel et intellectuel insupportable (Thérèse voudrait lire, elle est d'ailleurs séduite par un petit intellectuel parisien en séjour près d'Argelouse, Bernard ne fait que chasser). Dieu n'est pas là pour soulager leurs frustrations et leurs souffrances. La ville paraît alors comme une libération, mais n'est-elle pas l'incarnation de la perdition, si seuls le plaisir et l'illusion d'exister uniquement pour soi-même sont les moteurs de la vie?

Un roman apparemment féministe, partisan de l'émancipation de l'individu des contraintes familiales, mais qui s'achève sur une note contradictoire : la libération n'est elle pas une illusion si l'on est sans but et sans Dieu? Prenez la dernière phrase du livre par exemple :"Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ; puis ayant gagné la rue, marcha au hasard". (allusion à la séduction, et donc à la chair ; puis à l'absence de but, liée à l'absence de Dieu). La question fondamentale posée par l'écrivain me semble être éminemment actuelle, sa réponse aussi d'ailleurs. Thérèse Desqueyroux est selon moi une figure marquante de l'individualisme contemporain : narcissique, égoïste, incapable de sentiment même envers sa fille, centrée sur elle-même, refusant les contraintes,... Mais en même temps elle est attachante, parce qu'elle est dans une situation justement insupportable à nos yeux d'individus "libérés" : mariée de force, contrainte de vivre avec quelqu'un d'insupportable, sans perspectives d'avenir, condamnée à vieillir, à user sa seule vie, et à mourir dans ce coin triste et perdu,...

Sûrement une des raisons pour lesquelles ce livre a continué à être lu. Nous avons rompu avec les liens qui nous attachaient dans le passé (famille, religion, etc...) pour gagner la liberté. Et que nous offre cette libération? Un avenir non écrit, plein d'incertitudes, à la fois éprouvant et prometteur, mais qui risque de nous précipiter dans deux écueils : le désir et la contingence. Le désir fait-il de nous des êtres plus libres ou remplace-t-il les vieilles contraintes sociales par des contraintes naturelles aux méfaits comparables? La contingence, guide de nos vies urbaines, n'est-elle pas l'autre nom, aujourd'hui imprononçable, de Dieu?

Les préoccupations du catholique Mauriac sont, je l'avoue, très stimulantes. Non pas que je sois particulièrement croyant, mais le regard de l'écrivain, marqué par sa foi, se fait analyste visionnaire du destin de l'individu occidental, qui brise les chaînes du passé, de la tradition et de la société pour s'enferrer dans l'illusion de la liberté et de l'hédonisme. Vivre comme Thérèse à Argelouse ou se noyer sans rédemption dans la ville et la modernité? L'alternative me paraît insoluble... et Mauriac n'a finalement pas sauvé Thérèse. La figure de l'individu moderne serait-elle donc condamnée à l'errance? Au choix cornélien entre des contraintes pesantes qu'il ne peut plus tolérer et une liberté-errance qui fait de lui le jouet du désir et de la contingence?

Je ne sais...


(Mais je vous conseille vivement de lire et de relire ce roman de François Mauriac, publié en poche, et donc moins cher qu'un paquet de cigarettes...)





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