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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

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14 mai 2006 7 14 /05 /mai /2006 23:52
Retour sur le blog après deux semaines de "vacances". Je suis très occupé en ce moment et je n'ai pas pu lire autant que je l'aurais souhaité, malheureusement. Cependant, j'ai eu le temps d'achever la lecture de cet ouvrage de Fénelon (1651-1715). Je dois reconnaître que sa lecture fut plus longue que prévue. La langue ne présentait pourtant pas de difficultés particulières. Mais certains passages étaient un peu ennuyeux et didactiques. Forcément... En effet, ce livre a été écrit par Fénelon pour l'éducation, j'oserais même dire l'édification, du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV et second héritier du trône. Succédant à Bossuet (précepteur du Grand Dauphin), Fénelon voulait former le duc avec un mélange de deux apports incontournables : celui de l'Antiquité et celui du christianisme. Les tableaux antiques se mêlent, avec un bonheur inégal, à des propos chrétiens et donc anachroniques. Bossuet, alors très influent, n'appréciera que peu cette symbiose hasardeuse. Cela s'ajouta aux différents griefs que l'êvèque de Meaux nourrissait déjà à son encontre - et la publication imprévue des Aventures de Télémaque entraînera au final l'éloignement de Fénelon de la Cour et la fin prématurée de son préceptorat.

Néanmoins, le livre gagnera au XVIIIe siècle une redoutable postérité. Car la mythologie que dépeint Fénelon, même si elle est inspirée, sinon copiée de passages entiers de l'Odyssée d'Homère et de l'Enéide de Virgile, s'éloigne fortement des seuls canons antiques. Elle tient lieu d'arrière plan à une série d'enseignements que n'ignorèrent pas, par la suite, les lettrés du "siècle des lumières". La richesse de la mythologie antique a souvent servi les dramaturges et les écrivains au cours de notre histoire littéraire. Et Fénelon prend cette base comme un point de départ à une entreprise plus vaste : initier à la culture antique tout en formant un futur souverain chrétien. Et si possible un souverain qui n'agirait pas comme son grand-père, qui aurait plus de sagesse et de discernement, plus de bonté et de sens du devoir. Bref, derrière les aimables leçons dispensées tout au long des 400 pages, Fénelon dresser en creux une satire et une critique du règne de Louis XIV. Certains passages, concernant le Tyran Pygmalion et sa maîtresse Astarbé, ressemblent même à un réquisitoire contre le couple Louis-Maintenon. Personne ne s'y trompa alors, le récit de Fènelon résonnait des dramatiques fautes commises par Louis XIV après 1680.

En conséquence de quoi, la publication de ce livre entraîna l'éloignement immédiat de son auteur et son bannissement de la Cour. Cette critique du "roi-soleil" fit cependant la renommée et la gloire des Aventures de Télémaque au long du siècle suivant.
 
Fénelon



L'histoire n'est évidemment qu'un prétexte à la leçon. Télémaque, fils d'Ulysse, a fui Ithaque dans l'espoir de retrouver son père, disparu depuis la Chute de Troie. Ce dernier erre en Méditerranée en raison de sa contribution décisive à la victoire grecque face à Priam, qui l'a brouillé définitivement avec les dieux Venus et Neptune, partisans des troyens. Ils ne cessent de dresser des obstacles à son retour à Ithaque ; leur courroux s'étend même à Télémaque et à son compagnon d'infortune, personnage vieux et sage, Mentor. Ce dernier, qui a pour mission d'éduquer le jeune héritier, l'aidera tout au long du livre. Il s'agit en fait - mais Télémaque ne le sait pas - d'une incarnation de Minerve/Athéna, déesse de la sagesse. Durant ses multiples aventures, Télémaque sera confronté à l'ensemble des dangers qui peuvent détourner un roi de son objectif, qui, pour Fénelon, est d'assurer le bonheur de ses sujets (tâche ingrate s'il en est affirme-t-il d'ailleurs à plusieurs reprises). Télémaque découvrira successivement la passion amoureuse - que Fénelon rejette par sagesse philosophique plus que par moralisme chrétien -, la tyrannie, l'exil, les courtisans, les ministres, les dieux - la rencontre avec Pluton/Hadès dans les Enfers est un des meilleurs passages d'aventure du livre - , mais aussi la diplomatie, l'économie ou encore la guerre. Quant à Ulysse, objet de cette quête, il n'apparaît qu'à l'extrême fin, sous une autre identité, comme si dans tout voyage, le parcours importait plus que la destination.


Mentor et Télémaque rencontrent Calypso (scène d'introduction du livre)


Composé de 18 livres d'égale longueur, la leçon de bon gouvernement dispensée par Fénelon peut se résumer en quelques phrases. Le roi doit se soucier principalement du bien-être de ses sujets et veiller sur eux comme un berger sur ses moutons (métaphore hautement biblique) - et non se perdre dans les illusions de la gloire militaire ou architecturale. Le roi doit prôner, par l'exemple si possible, une vie tempérée et saine, gouverner en écoutant les critiques des plus sages, savoir se méfier des courtisans et des flatteurs, mener la guerre en faisant confiance à ses généraux les plus méritants et non à ceux qui savent le mieux le manipuler, demeurer pieux et se méfier des passions... A priori, rien de bien original si l'on considère cela d'un regard lointain et ancré dans notre époque. Sauf que celui à qui est destinée cette oeuvre d'édification morale et politique a sous ses yeux l'exemple inverse, celui d'un Louis XIV vieillissant, dispendieux et tyrannique, entouré de flagorneurs et de mesquins... Fénelon n'ose cependant pas pousser le trait jusqu'à mettre en accusation le roi lui-même. Il préfère s'attaquer à son entourage, et encore, avec discrétion - on devine parfois des traits de Louvois, de la Maintenon ou encore de Bossuet derrière tel ou tel. Plus que les personnages, ce sont néanmoins les situations rencontrées par Télémaque qui renvoient en écho aux réalités des années 1680-1690.

Un bon exemple : Idoménée, héritier du trône de Crète, chassé pour avoir sacrifié son fils aux Dieux, est devenu par la suite roi de Salente. Au moment où Télémaque et Mentor débarquent dans son royaume, il est en guerre contre tous ses voisins, qui veulent le vaincre avant qu'il ne les attaque... Car Idoménée a construit des forteresses aux marches frontalières de son territoire, après une série d'annexions sans véritable fondement moral. Il se justifie alors, sous le regard sourcilleux de Mentor, par un souci de protection qui dissimule mal des ambitions d'expansion. Et c'est ainsi qu'il effraie ses voisins qui ne le laisseront pas en paix tant qu'il n'aura pas renoncé à ses prises de guerre. Pour ceux qui connaissent un peu le règne de Louis XIV, Vauban, les réunifications et la guerre de Dévolution apparaissent clairement. Mentor/Minerve convaincra Idoménée de renoncer et Télémaque parviendra à négocier la paix.
Ensuite Mentor recadrera le gouvernement d'Idoménée en supprimant les travaux somptueux, les frais de Cour, en adoptant une mode vestimentaire et culinaire sobre. Versailles, Versailles, Versailles,...



La Cour


Le grand défaut du livre, il faut bien l'avouer, ce sont les longues pages didactiques de Fénelon concernant l'économie, la guerre et "la bonne gouvernance" - pour utiliser un pléonasme anachronique. Fidèle à sa mission de précepteur, conscient que l'éducation, c'est avant tout la répétition, Fénelon serine ses leçons, les réitère au fil des Livres et endort parfois un peu le lecteur d'aujourd'hui. En outre, les solutions qu'il prône, si elles sont moralement estimables, se départissent difficilement d'une certaine naïveté, en matière d'économie surtout. A lire par petites doses, indubitablement... Surtout que la langue, plus lisible que je ne le craignais, est toutefois un peu trop riche de superlatifs et d'envolées lyriques parfois indigestes.
En contrepoint, il faut bien reconnaître que Fénelon est parvenu à me donner l'envie de me plonger dans la mythologie. Il n'est pas de grands mythes qu'il n'ait évoqué, attisant souvent ma curiosité. Les notes de bas de page m'ont d'ailleurs bien aidé, car le lecteur que je suis dispose d'une culture classique étique. Hélas!


En conclusion, je dirais que Les Aventures de Télémaque furent une bonne lecture, mais à aborder après une petite plongée dans la mythologie et dans l'histoire du règne de Louis XIV.


P.S. : le duc de Bourgogne est mort en 1712, un an après son père et peu avant son fils aîné - soit les trois héritiers de la couronne de France. L'oeuvre d'édification n'aura donc pas servi à celui à qui elle était destinée!

re P.S. : j'ai beaucoup aimé un passage en particulier où Fénelon dit :
"
La condition privée, quand on y joint un peu d'esprit pour bien parler, couvre tous les défauts naturels, relève des talents éblouissants, et fait paraître un homme digne de toutes les places dont il est éloigné. Mais c'est l'autorité qui met tous les talents à une rude épreuve et qui découvre de grands défauts."
Voilà une belle leçon que certains de nos aspirants gouvernants devraient mûrir.


 
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commentaires

O
Amusante perspective inversée: tout l'intérêt, pour moi, est le commentaire sur la façon de gouverner que Fénelon déguise assez grossièrement, certes, mais assez pour faire du livre un best-seller, s'assurant ainsi de disséminer auprès des lecteurs et auditeurs de la France du début du 18e siècle, certaines conceptions du gouvernant idéal, étalon auprès duquel devra malgré lui se mesurer Louis XV.
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C
Boudiou, tu t'es fendu, là !Ce qui est bien c'est que y avait aucune chance que je lise jamais un tel pavé classique (et pour moi de l'époque du pire style en français), mais après une telle fiche, y en a encore moins. Moins que aucune chance, ça fait pas grand chose... :p
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