Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Biblio-Infinie

  • : biblio-infinie
  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
  • Contact

C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

Bonne lecture!

Recherche

Archives

21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 18:30
J'en arrive ici à ma dernière recension d'un livre lu en 2007. Oui, j'ai un peu de retard. Quelques menus problèmes de santé et un travail un peu plus chronophage que de rigueur m'ont empêché d'avancer au rythme que j'aurais voulu mien en ce début 2008. Cependant, je parviens encore à mettre à jour régulièrement ce blog. C'est un rendez-vous important qui me permet désormais, je m'en rends mieux compte, de revenir sur mes lectures et de les aborder avec un peu de recul. Fermer un livre, l'achever, laisse une première impression qui s'affine lorsque je me replonge dans mes souvenirs et feuillette de nouveau celui qui fut le compagnon de plusieurs heures. Comme je l'indique dans mon nouvel avant-propos, je ne cherche pas ici à suivre le buzz médiatique qui accompagne souvent la sortie d'un livre. J'ai un programme de lecture très éclectique et peu lié aux considérations de l'instant présent. Il s'agit, je pense, de réintroduire un peu de profondeur dans la superficialité du zeitgeist, au présentisme parfois obsessionnel : ce qui est ancien, ce qui n'est pas dans l'agenda, a tout autant sa place que ce qui vient d'être publié. Point de dogmatisme. J'ai chroniqué des livres très récents, et j'en chroniquerai d'autre. Mais jamais au point d'en faire un principe. Rester libre autant que faire se peut, un joli programme! Je reviens donc à la littérature avec ce roman du Prix Nobel de littérature américain John Steinbeck. Surtout connu pour Les raisins de la colère, Des souris et des hommes ou A l'est d'Eden, il a cependant publié au long de sa carrière des romans généralement considérés comme mineurs qui ne manquent pourtant pas d'intérêt. C'est le cas de celui-ci, absent de la bibliographie de l'auteur consignée dans l'encyclopédie de la littérature (collection livre de poche)

steinbeck.jpg

Ce roman raconte une poignée de journées vécus par un échantillon de la société américaine, réunis par la contingence dans un même espace. Quelques individus, usagers d'une ligne de bus californienne, se trouvent, par la faute d'une casse mécanique et d'un accident climatique, isolés ensemble loin de la société. Thème romanesque classique, la rupture introduite ici va provoquer l'effervescence de cette mini société, chacun remettant en cause sa propre existence pendant cette brève parenthèse, avant de reprendre le cours de ses activités. Steinbeck réunit ici une galerie de personnages extrêmement typés : un chauffeur de bus d'origine mexicaine, sa femme alcoolique, un apprenti mécano adolescent et concupiscent, une strip-teaseuse, un couple de bourgeois conformistes et leur fille étudiante, un représentant en farces et attrapes, un vieillard acariâtre, une naïve serveuse de bar rêvant d'Hollywood, ... Tous sont, à leur manière, des ratés, des victimes du rêve américain sous toutes ses formes. La panne de l'autocar va être l'occasion pour chacun d'essayer de transformer son existence, par des choix radicaux qu'une situation normale n'aurait pas permis. Le titre du roman est d'ailleurs fort bien trouvé : ces naufragés de l'autocar ne le sont pas seulement parce que leur bus s'immobilise dans la boue causée par une crue torrentielle, non, ils le sont tous à plus ou moins grande échelle dans leur propre vie. Le chauffeur, Juan, dont la vie est rythmée par les transports de voyageurs souvent antipathiques et égocentriques, se demande comment il en est arrivé à cette médiocrité. Sa femme, jalouse, noie dans l'alcool son angoisse d'être quittée. Les bourgeois et leurs conventions hypocrites vivent une existence glaciale et fausse, leur fille vit la classique crise du jeune adulte voulant voler de ses propres ailes, l'adolescent est obsédé par la chair à laquelle son acné ne lui permet pas d'accéder, la serveuse a l'esprit embrumé de chimères bovarystes et cinématographiques, la strip-teaseuse voit avec dégoût son sex-appeal attirer autour d'elles tous les hommes, le vieillard, menacé par des accidents cérébraux répétés se sait prêt de la mort, le représentant en farce et attrapes fait semblant de vivre pour son travail. Tous sont pathétiques avant même de prendre l'autocar.

Leur misère n'est pas noire. Elle n'est même pas, pour la plupart d'entre eux, économique. C'est une misère spirituelle de petit-bourgeois aux rêves étriqués, d'individus emportés par le tourbillon d'une vie choisie par défaut, qui se débattent dans le petit marigot de leur médiocrité. Tous ces individus égocentriques, aux rêves et aspirations brimées vont réagir à la situation inédite qui se présentent devant eux. Tous vont plus ou moins échouer. Rompre avec sa propre petite existence nécessite des efforts, un héroïsme personnel qu'aucun ne possède au fond de lui. Et si on sent chez les plus vieux le conformisme à ses non-choix de jeunesse, on sent chez les plus jeunes les prémisses d'un inéluctable ratage, que Steinbeck ne présentera pas, mais laissera présager. La petite bonne, qui est amoureuse de Clark Gable, s'imagine star à Hollywood et sympathise, les yeux pleins d'admirations, avec la charnelle strip-teaseuse. Le lecteur n'a pas besoin de beaucoup extrapoler pour l'imaginer au mieux serveuse d'un motel minable des suburbs de L.A., au pire vendant son corps pour subsister. Son inconscience attristera le lecteur, moins naïf, et qui sait toutes les embûches qui stopperont la pauvre serveuse bien avant qu'elle ne puisse devenir une star. Dans l'échec nécessaire qu'est toute vie, des choix se présentent pourtant à certains. Le couple bourgeois passe près de la rupture, leur fille étudiante se réfugie une nuit dans les bras du chauffeur, ce dernier plante le bus et abandonne ses voyageurs avant de piteusement faire marche arrière, ligoté par ses engagements et son incapacité à réellement rompre avec ce présent mal-aimé qui est malgré tout une part indissociable de son existence.

steinbeckphot.jpgSteinbeck

Ce roman de l'échec n'est pourtant pas un roman triste. Il n'a pas en lui le désespoir glauque houellebecquien. Au contraire, ce naufrage de l'autocar recèle de merveilleux instants de drôlerie. Ces moments que chacun connaît, lorsque le ridicule s'y dispute avec le pathétique jusqu'à éclairer le visage du lecteur d'un sourire entendu. Car leurs drames sont ceux de toute existence moyenne : mauvais choix, mariages malheureux, frustrations professionnelles ou sexuelles,... Rien de bien grave en somme. Chacun porte sa propre croix, mais il ne faut pas en faire un drame : la vie n'est qu'une comédie. Cet effet est accentué par la merveilleuse écriture cinématographique de Steinbeck. J'ai rarement lu un ouvrage qui me fasse visualiser si bien ce qu'il s'y passe : une écriture classique, néanmoins lumineuse, qui ressemble à un enchaînement de plans et de séquences. En un peu moins de 400 pages, John Steinbeck livre ici une performance à peu près parfaite : le thème est un tel exercice imposé, empli potentiellement de chausse-trappes, de déjà-vu et de lieux communs qu'il faut un vrai talent pour en extraire quelque chose. Dans les limites qu'il s'est assigné, Steinbeck est excellent. Le roman pourra paraître facile, les personnages artificiels, les situations convenues, les problèmes attendus, leurs solutions plus encore, et pourtant je ne peux m'empêcher d'apprécier ce roman. C'est justement son aspect conventionnel qui en fait à mon sens un sommet d'exercice littéraire. Comme le disait Romain Gary à la fin des Cerfs-volants : "on ne saurait mieux dire". Je conçois aisément qu'aux côtés d'autres chefs d'oeuvre d'une littérature plus ambitieuse et intellectuelle, ce roman fasse pâle figure. Et pourtant, plus j'y repense, plus je trouve que dans son approche classique, visuelle, en quelque sorte stéréotypée, ou plutôt créatrice de stéréotype, il transcende les conventions du genre et force l'auteur qui, demain, s'attachera à traiter un tel thème à faire preuve d'une grande originalité. Quant à l'échec de ces personnages communs, d'une banalité si confondante qu'elle en devient irréelle, il nous rappellera fort justement à quel point nos vies aussi sont faillibles. Nous devons les regarder en face sincèrement, lucidement et modestement jusqu'à en limiter le plus possible la vaine croyance en notre propre exceptionnalité, fantasme que ne cesse d'exciter le singularisme individualiste ambiant. Mais chez Steinbeck, ce constat n'est pas tragique et anxiogène comme chez Houellebcq, il est gai et conscient des joies mesurées de l'existence : le vieil homme, si odieux, nous rappellera opportunément le terme naturel de cette présence au monde et la nécessaire modestie qui doit s'y attacher.



Partager cet article
Repost0

commentaires