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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

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4 février 2008 1 04 /02 /février /2008 20:00
Certains livres prennent peu de temps à lire. Soit par leur taille, soit par l'avidité que le lecteur déploie pour en venir à bout. D'autres sont des livres-monde, d'immenses monuments dont même le plus passionné des lecteurs mettra plusieurs semaines pour en venir à bout. C'est le cas du livre du jour. Je connais peu d'ouvrages qui m'auront demandé un tel effort, soutenu, alors même qu'ils me passionnaient. D'Alexandre à Actium, de l'historien britannique Peter Green, est un défi, une gageure. Comment parvenir à résumer trois siècles d'histoire, politique, militaire, diplomatique, économique, culturelle, scientifique, artistique, littéraire en 700 pages bien tassées? Le livre débute avec la mort d'Alexandre à Babylone et s'achève lors du triomphe d'Octavien, futur Auguste, sur ses derniers rivaux, Marc Antoine et Cléopâtre. Soit une histoire qui se déroule entre -323 et -31. Imaginez la même chose de 1700 à nos jours, ou de la découverte de l'Amérique à la Révolution Française. Vous voyez tout de suite l'ampleur du pari. Comme l'excellent livre d'Edouard Will, Histoire politique deu monde hellénistique, Green aborde les affres diplomatico-militaro-stratégiques d'un temps qui vit l'apogée de la puissance hellénistique puis son déclin et sa disparition, sous les coups répétés de l'impérialisme romain. Mais il va plus loin. Parle des sociétés, des économies, des arts et lettres, des sciences. Il traite de ce temps comme un tout. Et le moins que je puisse dire, c'est qu'il s'en sort admirablement. Je ne suis pas un fin connaisseur de l'Antiquité. J'ai beaucoup lu d'ouvrages sur la République romaine et son dernier siècle, mais mon regard n'a jamais eu l'occasion de porter ailleurs. Grâce à Peter Green, mon esprit est déjà plus éclairé.


alex-green.jpg

Je saluerai d'abord le très bon travail de mise en forme réalisé par les éditeurs français. L'admirable collection Bouquins est coutumière du fait. Une chronologie très complète, un dictionnaire des personnages, 300 pages de notes de bas de page, une bibliographie riche et un index bien pensé encadrent les 37 chapitres du livre et les complètent le mieux possible. Car soyons honnêtes, cet âge de l'humanité est tombé dans un relatif oubli. Notre civilisation retient mieux les balises de cette époque que son contenu, l'épopée glorieuse du jeune conquérant macédonien et la terrible guerre civile romaine. Par le talent des historiens antiques (Polybe, Plutarque, Tite-Live) et par celui des dramaturges modernes (Shakespeare notamment), les moments les plus marquants de l'histoire de la fin de ce temps nous sont restés. César, Antoine, Octave-Auguste, Cléopâtre sont demeurés dans les mémoires collectives occidentales. Mais qui se souvient encore de Ptolémée Ier, d'Antiochos III, d'Eumène de Pergame ou de Mithridate VI du Pont? Les siècles ont recouvert d'une épaisse poussière la plupart des évènements de ce temps. Un lecteur contemporain pourrait s'imaginer que cette période n'a que peu d'intérêt : pas de conquérants mythiques, pas d'aventures formidables aux confins du monde connu, pas de lutte à mort pour le contrôle d'un empire mondial, etc... Et pourtant, aux niveaux socio-culturels et artistiques, cette période est une des plus fascinantes qui soit. Peter Green, sans trop appuyer dessus, identifie des ressemblances troublantes entre cette période et la nôtre, traçant ainsi des parallèles surprenants entre le monde hellénistique et les temps immédiatement contemporains : équilibre des puissances, conservation et appropriation permanente d'un immense patrimoine classique, repli de l'individu sur lui-même - du citoyen grec ultra-politisé d'Athènes à l'ego épicurien, stoïcien ou platonicien aux préoccupations métaphysiques et individualistes.

Il est particulièrement difficile de résumer une telle oeuvre. Ce serait pour moi retracer la destinée des peuples hellénistiques durant trois siècles. Je vais essayer de reprendre les points qui m'ont paru les plus saillants. Peter Green va plus loin ici que la stricte (et ennuyeuse) litanie des évènements politiques et militaires. Il consacre, pour chaque partie, deux ou trois chapitres au cadre historique avant de plonger plus avant dans des approches thématiques, sociétales, économiques ou philosophiques. Il faut dire que ce temps est particulièrement complexe à comprendre. Suite à la mort prématurée d'Alexandre le Grand, ses généraux, les Diadoques (du grec Diadochoi, les successeurs) se déchirent rapidement. D'un côté ceux qui veulent prendre le contrôle de tout l'Empire, de l'autre, ceux qui leur résistent. Successivement, les tenants de l'unité de l'Empire d'Alexandre sont éliminés, dans une sorte de jeu mécanique, par leurs rivaux. Le système hellénistique est avant tout une recherche d'équilibre politique. Perdiccas, Eumène, Antigone le Borgne puis, plus tardivement, Lysimaque périssent d'avoir voulu élever leur puissance au-dessus des autres. Un peu comme les empires continentaux depuis le XVIIIe siècle ont été vaincus par la coalition de leurs potentielles victimes (France napoléonienne, reichs bismarckiens et hitlériens, URSS -même s'il n'y eut pas de défaite militaire-). De cette période d'intenses bouleversements naissent trois ensembles : la Macédoine originelle d'Alexandre, qui rayonne du Bosphore jusqu'aux cités grecques ; le Moyen-Orient et l'Asie mineure, ensemble hétérogène et immense aux mains des descendants de Séleucos (les Séleucides) ; l'Egypte des Ptolémées. Au vaste combat que mènent ces trois ensembles à peu près stables s'ajouteront au fil du temps les vélléités d'indépendance des cités grecques - toujours vaincues, mais jamais résignées - ; l'émergence de la puissance commerciale de Rhodes ; celle d'un nouveau royaume, créé un peu par hasard et suffisamment habile et riche pour s'étendre et rayonner culturellement, à savoir Pergame ; et enfin, suite à ses victoires sur sa rivale carthaginoise, l'apparition et l'expansion infinie de l'impérialisme romain.

Je n'entrerai pas dans les détails historiques qui marquèrent ces trois siècles. Pour résumer, je dirais que les trois grands royaumes existèrent de manière stable durant une bonne partie de la période. Ils avaient fort à faire avec les invasions de barbares, les révoltes d'Athènes, des Achéens ou de Sparte, leurs propres conflits, l'émergence subite de Pergame, Rhodes ou, vers la fin, de la Judée. Mais ils étaient tous trois trop faibles pour résister à la machine romaine. Elle se mit en branle vers le début du IIe siècle avant Jésus-Christ et les royaumes hellénistiques ne purent lui résister. La Macédoine tomba la première, victime de ses vélléités conquérantes sur les cités grecques. Les Séleucides s'épuisèrent dans des campagnes à l'est, en Asie mineure, en Egypte et, après avoir été repoussés par Rome, leur empire se désagrégea jusqu'à disparaître. Les ptolémées furent les derniers à résister, sous l'égide de Cléopâtre VII. A Actium, c'en était fini pour l'Egypte indépendante. Les romains avaient en outre hérité de Pergame et vaincu Mithridate, roi du Pont, et dernier rival de valeur qu'ils connurent avant l'Empire. Le triomphe du système républicain et élitaire romain sur des monarchies beaucoup trop liées à la valeur ponctuelle de ceux qui les dirigent est d'ailleurs à mon sens une des clés de la période. Les Cités disparurent suite à leurs luttes acharnées et à la réappartion de grandes monarchies. Celles-ci ne purent rien face à l'admirable stabilité politique, aux mérites et aux talents d'une élite plurielle et relativement ouverte (comparé aux dynasties grecques bien sûr). Je vois ici une fracture entre systèmes politiques particulièrement enrichissante intellectuellement : dépassées par les monarchies géantes et par leurs faiblesses internes, les Cités grecques furent un moment de l'histoire du monde méditerranéen. La République romaine et l'Empire qui en découla furent la solution à l'éternel recommencement des grandes monarchies, scandé par l'irruption de tel ou tel conquérant et par le déclin inéluctable que suppose un système absolutiste, lié à la valeur de son monarque. Ce fut un réel saut qualitatif de l'histoire humaine, le passage à autre chose. Un empire universel qui irriguerait bien après sa disparition les pensées et les politiques humaines.
Je dresse ici un rapide panorama de l'histoire de ce temps. Il ne saurait évidemment remplacer la narration de Peter Green. Il produit des efforts méritoires pour rendre ce temps un peu plus clair aux yeux du lecteur. Il n'y parvient pas toujours : les affres dynastiques des Ptolémées - qui portent tous le même nom et se marient entre eux en permanence - ou des Séleucides sont très complexes. Et même le meilleur vulgarisateur s'y perd parfois.

Ne parler que de politique et de diplomatie serait passer cependant à côté du meilleur de ce livre. Peter Green balaie tous les champs sociaux de l'âge hellénistique. Au gré, évidemment, de nos sources, parfois lacunaires. Les royaumes indo-bactriens en Perse et en Inde sont par exemple rapidement expédiés, faute de documentation suffisante. Les descriptions de la société sont toujours remises dans le contexte des sources : telle archive du désert égyptien ne suffit pas à émettre une généralisation sur la civilisation hellénistique en son ensemble ; le jugement d'une oeuvre artistique se construit parfois sur des données particulièrement fragmentaires et incomplètes. Cependant, le lecteur néophyte peut se faire une bonne idée des sociétés grecques, ou tout du moins des modes de pensée des classes supérieures. Il est de toute manière difficile de savoir réellement, faute de documentation, ce que vivaient, ce que pensaient, ce que ressentaient les paysans ou les esclaves de ce temps.

pergame-site.jpgEmergence d'une monumentalité inhumaine, ici à Pergame

Je me rends compte qu'il m'est difficile de parler de ce livre sans essayer d'en détailler l'ensemble des considérations. Je vais donc utiliser queques exemples. L'individu grec classique, celui de l'Athènes, de la Sparte du IVe siècle, était un citoyen. Inclus dans la politique de sa collectivité de taille limitée, il participait à la vie de la Cité et exerçait des fonctions au plus haut niveau. Avec l'extension démesurée du monde grec, la naissance de monarchies immenses, l'individu perd sa place de citoyen. Confronté à l'arbitraire du pouvoir absolu, il se replie sur une sphère intime et métaphysique. De là naissent des philosophies peu politisées, de retrait du monde, comme l'épicurisme. Ou des pensées du consentement aux choses telles qu'elles sont, des conservatismes, comme le stoïcisme. Ne pouvant plus participer à la politique de son Etat, ne pouvant plus influer sur la dimension collective, l'homme revient à la sphère privée. L'art qui découle de cette tendance sociale en est le témoin : piéces de théâtre neutres politiquement, aux formes identiques et aux thèmes répétitifs - contrairement aux tragédies classiques -, philosophies individualistes, absence d'innovation et de recherche de la rupture (ou de la Révolution). Certaines explications de Green sont lumineuses. Il compare par exemple l'architecture classique athénienne et celle de Pergame, profondément hellénistique. Les ressemblances apparentes entre les deux sont en fait des illusions. Là où l'architecture et l'urbanisme athénien intégraient le citoyen dans des structures de taille humaine, aux fonctions politiques et sociales bien établies, Pergame verse dans le gigantisme, la monumentalité coupée de la vie sociale de la cité et du royaume. Les monuments de ce temps n'ont plus de rapport avec l'individu. Ils sont le témoin de l'aspiration à la puissance des monarques. Ils témoignent de la grandeur d'un Etat, pas de la cohésion d'une collectivité. Le colosse de Rhodes, le phare d'Alexandrie, comme la plupart des merveilles de l'Antiquité datent de cette époque. Elles produisent un effet d'écrasement finalement peu éloigné de ce qu'évoquent les productions des grands Etats contemporains (on pense notamment aux réflexions de Speer sur l'architecture pendant les années 30, au gigantisme stalinien, etc...). L'architecture n'a plus de fonction politique démocratique, mais un rôle de représentation, de prestige. Le retrait de l'individu de la sphère publique est consacré par la production de ce temps. Que faire dans un monde qui vous échappe? Trouver l'harmonie, l'ataraxie, l'absence de douleur dans une vie privée éloignée de toute préoccupation immédiatement collective. La production de ce temps est la conséquence logique de la dépossession politique de l'individu.

L'essor de l'épicurisme, philosophie présentiste, en est une autre illustration. Vivre sans douleur, dans l'instant, sans recherche inutile sur ce qui fut ou sur ce qui sera, hors des réalités politiques, voilà bien un leitmotiv de ce temps (et du nôtre?). L'épicurisme originel n'est pas une recherche du plaisir, c'est une recherche de la spontanéité, de l'absence d'émotions, de la vie telle qu'elle se présente. Nulle contestation ne peut en naître. Et ses disciples ne nuisaient aucunement aux monarques de ce temps. Le stoïcisme connut pareil développement mais pour d'autres raisons. Profondément conservateur, délié des obligations politiques idéales de Platon, il est avant tout un consentement au monde. Une acceptation des charges qui pèsent sur l'individu. Faite d'honneur, d'austérité, de morale, cette philosophie insistait sur l'acceptation du monde. Et consacrait l'univers présent sans lui donner de transcendance. Le terrain était d'ailleurs préparé pour l'émergence d'une philosophie transcendante, d'une religion donnant un cadre plus clair que ces deux philosophies individualistes : le christianisme. C'est un des autres fondements de ce temps : la religion y est peu présente. Par habitude, on continue à révérer les personnages divins, mais ceux-ci sont le plus souvent considérés comme d'anciens humains mythifiés dans les temps ancestraux. Et ils sont finalement comparables aux surpuissants monarques des royaumes hellénistiques, que l'on idôlatrera comme on adorait les vieilles Artémis et Athéna, les anciens Poséidon et Apollon. Des cultes de la personnalité démesurés émergent dans ce monde désenchanté. N'y a-t-il pas là encore des proximités avec les temps contemporains?

J'ai essayé ici de donner quelques illustrations de la portée intellectuelle de cet ouvrage. Je ne suis pas persuadé d'y être parvenu. Mais que mon lecteur en soit assuré, je tiens cette histoire de l'âge hellénistique pour un des plus stimulants, un des plus passionnants livres d'histoire qu'il m'ait été donnée de lire. Et ce même si certains passages demandent une attention particulièrement soutenue : je pense notamment au chapitre sur les mathématiques, ou à celui portant sur les sciences de ce temps. Néanmoins, accessible à l'honnête homme, solidement charpenté pour le spécialiste (les notes de bas de page sont à cet égard fascinantes), ce livre est la clé d'entrée idéale pour qui veut mieux comprendre le monde antique... et même le nôtre.

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commentaires

C
J'ai lu ce livre il y a 10 ans, et j'en ai gardé un souvenir très vivace.  Green est un très grand historien, qui fait autorité auprès des hellénistes et des romanistes, et en plus il a une approche très subtile et très anglaise de l'histoire de cette période, en traitant souvent avec une légère ironie les grandes prétentions des personnages qu'il décrit (notamment les philosophes). J'avais en particulier beaucoup aimé sa capacité à prendre de la distance avec son objet d'étude (ce que ne font pas toujours les spécialistes) en montrant les progrès du mauvais goût et du kitsch pendant la période hellénistique. C'est un bouquin vraiment extraordinaire qui sort des poncifs qu'on lit toujours sur les Ptolémées, sur Cléopâtre, sur les premières conquêtes romaines.
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C
Intéressant.S'il fallait résumé "l'héritage" historique greco-romain en un ouvrage, finalement, c'est celui-ci que tu conseillerais ?Ma culture de l'antiquité est abyssale, et le monde romain ne m'a jamais attiré: Cette immense empire glouton qui finit par s'effondrer.. s'effondrer pourquoi, au juste.J'ai vraiment du mal à voir la conquête romaine comme un évènement positif de l'Histoire (trop d'Aterix quand j'étais petit, sans doute :D).
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