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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

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17 avril 2006 1 17 /04 /avril /2006 11:31
Oui, je sais, ce n'est pas très original pour une première recension. Tout le monde est censé avoir lu ce petit roman de 140 pages, ou au moins savoir de quoi il parle. Je reprend à peine contact avec le monde de la littérature après des années de dégoût relatif de tout ce qui est romanesque. Forcément, je reviens auprès des classiques que je suis désormais capable d'apprécier à leur juste valeur, enfin je l'espère. En principe, en ce moment, un livre que je lis sur trois est un classique... et par classique, j'entend aussi bien Rabelais, Voltaire, Huysmans, Gide ou Gary que les écrivains dont on s'évertue à vous dégoûter à l'école (Hugo et Flaubert notamment). Bref, ce roman de Mauriac est un classique de la littérature de l'entre-deux-guerres.



François Mauriac


L'histoire est relativement simple. Je savais qu'il existait au fin fond de la Creuse ou du Cantal, des endroits isolés de tout. Apparemment, en Aquitaine, il est possible d'en trouver aussi, ils sont appelés dans mon jargon des "trous". Et c'est dans un de ces trous que se tient, peu avant la première guerre mondiale, l'histoire du livre. Bernard Desqueyroux est un gentilhomme propriétaire de grands terrains dans un coin perdu d'Aquitaine, appelé Argelouse. Il passe son temps à chasser, boire, manger et amasser son argent. Bref, un personnage hautement "sympathique", pur produit de la ruralité, individu pré-moderne, qui n'a aucune psychologie et qui ne pense qu'à l'argent. C'est un homme assez simple et naïf. Pour agrandir le terrain familial, ses parents se sont entendus avec les parents de l'héroïne, Thérèse. En effet, par le mariage de Bernard et de Thérèse, ils espèrent une union fructueuse qui étendra l'influence et les richesses des deux clans. Le problème, c'est que Thérèse ne peut pas supporter Bernard, qui est dépeint, par les yeux de Thérèse, de manière très négative : il est un monstre d'inculture et de bêtise tout au long du livre, comparé à elle. C'est d'ailleurs une des forces du roman que de nous plonger dans les méandres du ressentiment de Thérèse contre son mari.

Ressentiment qui est tellement fort qu'elle va jusqu'à l'empoisonner avec l'arsenic que Bernard est censé prendre en petites quantités. Une goutte de plus par-ci, quatre gouttes de plus par-là, Bernard se sent alors un peu patraque, puis clairement malade. Malheureusement pour Thérèse, car on en vient à prendre parti pour elle, le médecin familial se rend compte de tout cela et Thérèse finit devant un tribunal... Elle n'est d'ailleurs même pas condamnée, la peur du scandale ayant poussé son mari à produire un faux-témoignage.


Le roman s'ouvre sur le retour de Thérèse à Argelouse, après ce procès. La première partie permet à Mauriac de remettre en place toute l'histoire que je viens rapidement de résumer. La seconde raconte la claustration de Thérèse par son mari qui, méfiant, la tient enfermée dans sa chambre. Les pages qui racontent le glissement de Thérèse dans l'apathie et la quasi-folie sont magistrales. Cependant Bernard Desqueyroux finira par libérer sa femme, en partie parce qu'il en a peur, en partie parce qu'il a compris qu'il ne sert à rien d'essayer de la contraindre à vivre recluse... ce serait la tuer. Et faire jaser le pays, ce que Bernard craint le plus. Le dernier chapitre raconte la libération de Thérèse à Paris. Une fin qui paraîtra optimiste à toutes les lectrices (et à tous les lecteurs, mais ça, encore, je n'en suis pas si certain).

Petit avis sur la question

Or, l'incapacité de Thérèse à trouver la foi, à transposer son malheur dans une transcendance spirituelle (qui aurait pu avoir lieu lorsqu'elle était recluse à Argelouse, à la manière des prophètes partis marcher dans le désert) est justement ce qui la condamnera ensuite, après que le roman se soit terminé, à errer dans la chair, dans les affres d'une vie matérielle tournée vers le précaire, le charnel, le contingent. C'est toute la patte de l'écrivain authentiquement catholique que fut Mauriac qui se révèle ici. Dans une société urbaine profondément marquée par la tentation de la chair, dans une société où chacun est censé se construire soi-même selon ses propres règles, à son bon plaisir, de façon anonyme, individuelle et détachée de toutes les contraintes familiales et sociales de la vie rurale, l'absence de Dieu contraint l'être à errer. Il se perd d'autant plus qu'il ne vit pas une transcendance, car pour Mauriac, il est des êtres, dont Thérèse, qui sont incapables de trouver en eux-mêmes les ressources de la foi, des êtres que jamais la grâce ne touchera. D'ailleurs, c'est impressionnant de voir la faculté de l'écrivain croyant qu'est Mauriac de se glisser dans la tête d'une athée opposée à toute mystique.

Et pour les gens comme Thérèse, la vie familiale et rurale ne peut être qu'un carcan culturel et intellectuel insupportable (Thérèse voudrait lire, elle est d'ailleurs séduite par un petit intellectuel parisien en séjour près d'Argelouse, Bernard ne fait que chasser). Dieu n'est pas là pour soulager leurs frustrations et leurs souffrances. La ville paraît alors comme une libération, mais n'est-elle pas l'incarnation de la perdition, si seuls le plaisir et l'illusion d'exister uniquement pour soi-même sont les moteurs de la vie?

Un roman apparemment féministe, partisan de l'émancipation de l'individu des contraintes familiales, mais qui s'achève sur une note contradictoire : la libération n'est elle pas une illusion si l'on est sans but et sans Dieu? Prenez la dernière phrase du livre par exemple :"Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ; puis ayant gagné la rue, marcha au hasard". (allusion à la séduction, et donc à la chair ; puis à l'absence de but, liée à l'absence de Dieu). La question fondamentale posée par l'écrivain me semble être éminemment actuelle, sa réponse aussi d'ailleurs. Thérèse Desqueyroux est selon moi une figure marquante de l'individualisme contemporain : narcissique, égoïste, incapable de sentiment même envers sa fille, centrée sur elle-même, refusant les contraintes,... Mais en même temps elle est attachante, parce qu'elle est dans une situation justement insupportable à nos yeux d'individus "libérés" : mariée de force, contrainte de vivre avec quelqu'un d'insupportable, sans perspectives d'avenir, condamnée à vieillir, à user sa seule vie, et à mourir dans ce coin triste et perdu,...

Sûrement une des raisons pour lesquelles ce livre a continué à être lu. Nous avons rompu avec les liens qui nous attachaient dans le passé (famille, religion, etc...) pour gagner la liberté. Et que nous offre cette libération? Un avenir non écrit, plein d'incertitudes, à la fois éprouvant et prometteur, mais qui risque de nous précipiter dans deux écueils : le désir et la contingence. Le désir fait-il de nous des êtres plus libres ou remplace-t-il les vieilles contraintes sociales par des contraintes naturelles aux méfaits comparables? La contingence, guide de nos vies urbaines, n'est-elle pas l'autre nom, aujourd'hui imprononçable, de Dieu?

Les préoccupations du catholique Mauriac sont, je l'avoue, très stimulantes. Non pas que je sois particulièrement croyant, mais le regard de l'écrivain, marqué par sa foi, se fait analyste visionnaire du destin de l'individu occidental, qui brise les chaînes du passé, de la tradition et de la société pour s'enferrer dans l'illusion de la liberté et de l'hédonisme. Vivre comme Thérèse à Argelouse ou se noyer sans rédemption dans la ville et la modernité? L'alternative me paraît insoluble... et Mauriac n'a finalement pas sauvé Thérèse. La figure de l'individu moderne serait-elle donc condamnée à l'errance? Au choix cornélien entre des contraintes pesantes qu'il ne peut plus tolérer et une liberté-errance qui fait de lui le jouet du désir et de la contingence?

Je ne sais...


(Mais je vous conseille vivement de lire et de relire ce roman de François Mauriac, publié en poche, et donc moins cher qu'un paquet de cigarettes...)





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commentaires

C
Belle fiche, si tu maintiens tout le temps ce niveau, chapeau.Par contre, je le lirais pas. C'est vraiment pas le genre de roman que j'affectionne de lire.
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