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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

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24 janvier 2008 4 24 /01 /janvier /2008 21:45
Les éditions Fides, une maison québecoise, ont passé un accord, voilà quelques années, pour assurer la traduction d'une partie de la collection "biographies" de Penguin Books. Ces livres, vendus assez cher n'ont apparemment pas trouvé leur public en France. Les stocks d'invendus ont été vendus à "Bookan", un magasin de livres discount. C'est là que j'ai trouvé cet ouvrage, que je cherchais depuis un moment, ayant plusieurs fois hésité à le commander par internet. Après coup, je me rend compte que j'ai bien fait d'attendre, car ça n'en aurait pas valu le coup. Non que le livre soit mauvais, loin de là. Mais il fait 140 pages, avec un interligne large et des gros caractères... Il s'apparente plus à un long reportage qu'à un vrai livre d'histoire. J'espérais et je recherchais quelque chose de plus étoffé. Néanmoins, sa lecture ne fut pas inutile. Auchincloss brosse ici le portrait d'un des hommes politiques américains les plus influents du XXe siècle, Woodrow Wilson. Les biographies universitaires le concernant s'étalent en général sur trois à cinq tomes. Cet opuscule ne peut rivaliser, et se contente de donner un aperçu de la question. Car Wilson fut un personnage fascinant : universitaire, il dirigea l'Université de Princeton avant d'entrer en politique et de devenir Président des Etats-Unis. Il fut d'ailleurs l'un des deux seuls démocrates à accéder à la magistrature suprême, dans des conditions particulièrement favorables il est vrai, entre l'élection de Lincoln (1861) et la fin du mandat de Hoover (1929). Il fut aussi, et surtout, le président qui engagea l'Amérique dans la première guerre mondiale, l'initiateur malheureux de la S.D.N. et un des artisans du désastreux Traité de Versailles. Ce fut avec les Pères Fondateurs, Jackson, Lincoln et les Roosevelt, un des présidents les plus importants que connurent les Etats-Unis avant la seconde guerre mondiale, qui consacra leur ascension à un degré supérieur d'importance géopolitique.


wilson.jpg


Wilson était un personnage étrange. Particulièrement brillant, intellectuel - ce qui est rare chez les politiciens américains -, profondément croyant, originaire du sud, convaincu de l'éminence de son rôle dans l'histoire mondiale et dans le triomphe du bien, il intrigua ses contemporains. Sigmund Freud en fit d'ailleurs un portrait particulièrement acéré, récemment réédité chez Payot. Né en 1856 en Virginie, fils d'un pasteur présbytérien, il mena une belle carrière de professeur. Spécialiste en histoire et en science politique, il publia plusieurs ouvrages qui assurèrent sa notoriété dans les milieux cultivés, oeuvre "étincelante d'intelligence" selon les mots de son biographe. Centré sur les problèmes institutionnels américains et britanniques, il apportait des réponses à la crise morale et politique que traversa l'Amérique après la guerre de Sécession. Cet âge, qui s'étend de l'assassinat de Lincoln (1865) à la guerre de Cuba (1898) est connu sous le nom de Gilded Age (l'âge doré, ou âge en toc). Pour mieux comprendre le contexte qui mena Wilson à la politique, il faut revenir aux grandes lignes de ce que fut cette époque. Après la réunification et l'assassinat de Lincoln, son successeur, Andrew Johnson refusa de briser les politiques ségrégationnistes du sud. Alors que les plus ardents républicains avaient espéré que la défaite des Confédérés serait l'occasion de réduire à néant les particularismes du sud liés à l'esclavage, Johnson temporisa. Il le fit tellement qu'il échappa de très peu à un impeachment. La fonction présidentielle sortit affaiblie de l'épreuve de force. Son successeur, le général héros de l'Union Ulysses Grant, qui avait l'opportunité de restaurer la présidence, n'en fit rien. La présidence des Etats-Unis tomba en déshérence et s'affaiblit à un point que seuls ceux qui ont connu l'immédiat après-Nixon peuvent imaginer. Des personnalités pâles se succédaient à la Maison-Blanche. Pendant ce temps, la Révolution industrielle avait permis à des hommes partis de rien de se tailler des empires : Rockefeller, Carnegie, J.P.Morgan, pour ne citer que les plus célèbres. Le pouvoir économique primait sur la politique fédérale, que personnait n'incarnait. L'arrogance arriviste et clinquante des magnats du Gilded Age signait une mise à mort des idéaux de la République.

Wilson, durant ses années de professeur, s'insurgea contre l'abaissement du système des Pères Fondateurs et proposa dans ses ouvrages une série de réformes institutionnelles. Il se rendit compte peu à peu que ses idées audacieuses pourraient être mieux portées dans l'espace public si lui-même se lançait en politique. Avant cela, il accéda à la présidence de l'Université de Princeton, à l'époque moins réputée qu'aujourd'hui. Dans ce poste stratégique, il s'essaya enfin à la politique, à modeste échelle. Une réforme des enseignements entraîna un gain de prestige et fit, à terme, de son université une rivale d'Harvard et de Yale. Le début de sa présidence fut un franc succès, mais rapidement ses défauts prirent le pas sur ses qualités. Deux projets de transformation du campus soulevèrent une vive opposition. Il essaya de trancher avec autorité, voire autoritarisme, et rompit avec la plupart de ses opposants, même ceux qui avaient été de ses proches. Convaincu d'être le porte-parole du bien et de la vertu, il assimila rapidement ceux qui exprimaient leur désaccord à des traîtres, révélant là sa rigidité psychologique et son manichéisme outrancier.

Il quitta peu après l'université. Certains démocrates du New Jersey étaient persuadés d'avoir trouvé en lui le moyen de détacher les progressistes du Parti républicain et de l'emporter au niveau local, voire au niveau national. Il est ici encore nécessaire de revenir à l'histoire Américaine. Le gilded age ne prit pas fin du jour au lendemain. Cependant la crise institutionnelle et économique qui découlait de l'affairisme et de la corruption des élites de Washington entraînèrent l'apparition de politiciens populistes et charismatiques. William Jennings Bryan, démocrate, trois fois candidat à la Maison-Blanche, trois fois vaincu, en appelait à la Bible pour lutter contre le veau d'or. Ses discours enflammaient les masses des paysans du sud, rattachés au démocrates depuis la guerre civile. Chez les républicains, le progressiste républicain Teddy Roosevelt, Président depuis 1901, luttait de toutes ses forces contre le big businness, les trusts et la corruption. L'ambiance était propice à l'émergence d'un moraliste vertueux et intransigeant. Roosevelt, très populaire, ralliait aux républicains les publics du Nord et de l'Ouest sensibles à ses thématiques populistes. Le calcul des pontes démocrates du New Jersey était de propulser Wilson au sommet, de profiter du progressisme ambiant pour conquérir la Maison-Blanche et le pouvoir. Seulement ces hommes, liés à certains trusts, escomptaient aussi beaucoup de la naïveté de Wilson et de son apparente modération réfléchie pour tirer les ficelles. Wilson devait les décevoir. Devenu gouverneur facilement, sa popularité s'élèva jusqu'à faire de lui un des principaux favoris de l'élection de 1912. Il avait déjà pris son envol contre les boss du parti démocrate local et prouvé son indépendance pleine d'idéalisme et de vertu.


wilson2.jpg

Lors des 18 précédentes élections, les démocrates avaient été vaincus 16 fois. Triomphant largement dans le sud et auprès des minorités catholiques, mais auprès d'elles uniquement (ou presque) ils ne parvenaient quasiment jamais à remporter la mise. Cette élection se présentait sous de meilleures auspices. En 1908, Teddy Roosevelt quitta la Maison-Blanche après son deuxième mandat. Son vice-président, Taft, lui succéda. Seulement à l'époque un président pouvait juridiquement exercer autant de mandats qu'il le pouvait et le voulait. Une tradition remontant à Washington faisait qu'aucun président n'avait tenté de se faire élire une troisième fois. Mais Taft n'avait pas montré assez d'empressement à appliquer la politique de Roosevelt une fois élu. L'impétueux Teddy décida alors de rompre avec les républicains et de fonder le Parti Progressiste. En ordre dispersé, les républicains perdirent l'élection. Wilson l'emporta largement sur les deux frères ennemis Taft et Roosevelt. Devenu président, il bénéficia de la restauration du rôle du président entamée par Roosevelt et l'accentua encore. Il abaissa les tarifs douaniers, instaura la réserve fédérale (la célèbre FED), ruinant le monopole financier du big business, et put ainsi se targuer d'un bon bilan économique. Au niveau international, la guerre civile mexicaine accapara son attention, le temps d'une malheureuse aventure à Veracruz. Mais ce n'était rien en comparaison des évènements européens. Résolument neutres dans la guerre qui opposait l'Alliance à l'Entente, les américains se trouvèrent peu à peu entraînés dans le conflit. Les attaques des sous-marins allemands contre les navires civils américains firent monter la tension. Réélu en 1916, il s'efforca par tous les moyens de préserver la neutralité américaine. Peu à peu les pressions britanniques et l'attitude allemande le firent basculer. En avril 1917, les USA entrèrent en guerre. Leur appui économique et militaire finit par faire pencher la balance du côté de la France et de l'Angleterre.

Les alliés étaient cependant en net désaccord quant au règlement de la paix. Wilson tenait à ses  fameux "Quatorze Points" qui constituaient un programme fort idéaliste, et se rendit à Versailles pour les faire appliquer. Les lecteurs savent quelle catastrophe ce traité engendra. Mal construit, partagé entre un idéalisme de principe et un cynisme des mesures, il ne régla que provisoirement le destin de l'Europe. Le Président avait cependant l'impression d'avoir acquis gain de cause. Seulement, l'adhésionà  la S.D.N, dont il avait impulsé la création ne fut jamais votée par le Sénat américain. Sous la conduite d'Henry Cabot Lodge, leader de l'opposition républicaine au Sénat, le Traité de Versailles fut repoussé. Cet échec fut largement la conséquence du refus de Wilson de transiger et de négocier avec ses opposants. Il signa ici la fin de sa carrière politique. Victime d'une attaque cérébrale grave en septembre 1919, il occupa la présidence sans plus exercer le pouvoir jusqu'à l'échéance de son mandat en 1920. Il mourut en 1924.


wilsonfreud.jpgUne autre lecture, une vision plus radicale de l'homme, qualifié de malade mental, d'idéaliste pitoyable, de menteur instable et de dévot aliéné


Un aspect fascinant du président Wilson, au-delà du rôle historique qu'il eût à jouer (j'ai tenté d'éclaircir ici certains points obscurs, passant rapidement sur les aspects les plus connus), ce fut sa personnalité. Que Sigmund Freud se soit intéressé à son cas n'est pas sans raison. Vertueux jusqu'au manichéisme, intellectuel jusqu'à l'idéalisme le plus déconnecté de la réalité politique, croyant jusqu'au fanatisme, brillant intellectuel durci par l'orgueil, Wilson se révèle très différent de ceux qui le précédèrent et de ceux qui lui succédèrent. Rarement un président des Etats-Unis aura été aussi moraliste, raisonneur, intransigeant, persuadé d'être le vecteur du Bien dans la lutte contre le mal. Ses attaques cérébrales, selon Auchincloss, ne firent qu'accuser les traits les plus insupportables de son caractère. Son entourage,
surtout ses femmes successives, en adoration devant sa personne, aggrava encore ses défauts. Parangon de vertu, il était l'homme de principes sacrés et bibliques dans un monde qui ne les craignaient plus. Persuadé d'être la voix du Bien et de Dieu jusqu'à la démesure, il finit par échouer. Ses Quatorze points étaient inapplicables, les puissances européennes ne voulaient pas en tenir compte. La SDN, l'idée d'une paix collectivement assurée par les Etats, violait les principes isolationnistes chers aux américains. L'accroissement du rôle de la Présidence dont il fut responsable s'échoua un temps dans les sables de l'affairisme et de l'inaction, avant qu'un autre que lui ne la relève, douze ans après, durablement cette fois-ci, grâce au New Deal. Le progressisme qu'il avait pu en partie incarner sombra avec la candidature LaFollette en 1924 et laissa place aux Années Folles chères à Babitt. Pourtant, il fut un bon Président de guerre. Il sut diriger la nation habilement avant l'entrée dans le conflit et la mener à la victoire. Ses quelques réformes économiques ont encore des ramifications aujourd'hui. Et l'héritage de sa pensée est toujours présent dans l'Amérique contemporaine. Ne disait-on pas de Bush Jr qu'il était le représentant du Wilsonisme botté, c'est à dire d'un idéalisme manichéen prêt à faire la guerre pour atteindre ses buts vertueux?

La biographie de Louis Auchincloss, qui tient plus du portrait que d'autre chose, éclaire quelques aspects méconnus de la personnalité de Wilson. Il présente, synthétiquement, ce que fut pour l'Amérique cet intellectuel aux fines lunettes d'acier dans une époque d'hommes de guerre et de combattants. Dans l'histoire américaine, le chapitre Wilson est contrasté. Mais il compte. Et Auchincloss réussit à nous le faire percevoir. Cependant, j'estime que le lecteur novice en histoire politique américaine aura quelques problèmes à saisir d'emblée le contexte de la Présidence Wilson. Pour une fois, dans une recension, j'ai été contraint d'illustrer l'arrière-plan pour pouvoir m'expliquer sur le fond. Malheureusement, en 140 pages, l'auteur ne pouvait guère faire mieux. D'autant plus qu'il se perd parfois dans des considérations beaucoup trop étendues sur la vie privée de Wilson, sur ses aventures féminines (étrangement peu en rapport avec la vertu outrancière de ses principes), sur la dualité de son psychisme. Le survol est le principal défaut de l'ouvrage : faire trop court c'est aussi perdre du sens. Ce livre est malheureusement le seul de son genre disponible en français. Ce qui en fait, malgré ses défauts évidents, de facto, le meilleur sur le sujet.
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