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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

Bonne lecture!

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10 décembre 2007 1 10 /12 /décembre /2007 20:00
Après ce détour churchillien, je reviens à des écrits plus actuels, avec cet essai de Denis Lacorne. Il est un de nos rares spécialistes en questions américaines à ne pas se contenter d'écrire des essais diplomatico-stratégiques, à moitié journalistiques, à dates de péremption extrêmement courtes. Au contraire, il cherche à expliquer au public français les subtilités de la société américaine. Car celle-ci, que nous croyons connaître, est par bien des aspects, incompréhensible et lointaine. L'aspect religieux n'est pas pour rien dans ce sentiment. Cet essai d'histoire politique, comme l'indique le sous-titre, ambitionne clairement d'expliquer la religion en Amérique aux lointains observateurs de ce pays que nous sommes.

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Quelques constats s'imposent : la religion américaine est marquée par son histoire et par des épisodes ici inconnus ou mal compris : l'expérience puritaine, la multiplicité des sectes protestantes, les réveils évangéliques, la guerre des bibles, le rôle du protestantisme dans l'identité nationale, les aspects prosaïques de l'émergence d'une droite chrétienne et enfin l'aspect complexe de la jurisprudence en la matière. La colonisation de l'Amérique du Nord a d'abord été l'affaire de sectes anglo-saxonnes qui cherchaient là-bas la réalisation libre de leurs aspirations religieuses et eschatologiques. On ne compte pas les différentes variantes du protestantisme à avoir essaimé en Amérique. Les plus importantes, au XVIIe et XVIIIe siècles furent le puritanisme, le calvinisme et les quakers. Ces fondations religieuses influèrent sur le destin des colonies. Fondées sur l'égalité des croyants, mais aussi sur la révélation de la grâce divine par la réussite, elles entraînèrent quasi mécaniquement l'invention d'un système démocratique, refusant les hirérachies établies. Et les Eglises organisées furent peu à peu victimes de la radicalité puritaine : catholiques, anglicans notamment. Même lorsque le puritanisme originel se sera effacé derrière une société mercantile et capitaliste, cette lutte contre les Eglises, ce sentiment de liberté religieuse, ce millénarisme américain de "Terre Promise" resteront prégnantes. Elles feront leur apparition périodique au cours des deux derniers siècles : guerre des bibles suite à l'émigration irlandaise, opposition au catholicisme, racialisme wasp, droite chrétienne et majorité morale,...

Lacorne décrit ces différents moments de l'histoire américaine. La guerre des bibles, pour résumer, se déroula entre les protestants de toutes obédiences et les catholiques. Les traductions du texte Saint étant différentes entre les deux religions, la lecture d'extraits de la Bible à l'école au XIXe siècle fut l'occasion pour les différentes obédiences chrétiennes de s'entredéchirer. Les esprits protestants militants pensaient que l'Amérique perdrait son essence démocratique et particulière en laissant croître les catholiques ; ceux-ci voulaient défendre leur confession en évitant que les enfants ne soient mis en contact avec une version différente du christianisme. Cet épisode ne fut qu'une des nombreuses étapes de deux mouvements connexes : la lutte pour une libéralisation de la sphère religieuse par la disjonction entre l'identité proprement protestante et l'identité américaine, menées d'abord par les évangélistes, les sectes protestantes puis par les catholiques et maintenant par d'autres religions (Sikhs, hindous, musulmans) ; la lutte pour la préservation de l'identité américaine conçue comme spécifiquement puritaine, puis étendue à toutes les obédiences protestantes (les WASPS, les baptistes, la majorité morale de Jerry Falwell). La problématique de l'identification entre protestantisme et américanité traverse l'ensemble de l'histoire religieuse, et même politique, aux Etats-Unis.

Les réveils évangéliques, de Joseph Smith (mormons) à Jonathan Edwards ou Whitefield, sont une autre particularité de l'histoire religieuse du pays. Aux XVIIIe et XIXe siècles, deux réveils évangéliques parcoururent le continent. Portés par des leaders charismatiques, ils permettaient à des adultes de trouver une voie assez mystique de repentir et d'expression religieuse. La question, esquivée en général dans les histoires des Etats-Unis écrites par des français, est malheureusement un peu faiblement traitée. Lacorne en reste à leur description par les voyageurs français de l'époque et ne s'attaque pas au fond des raisons et des mécanismes socio-historiques qui ont permis l'émergence de tels mouvements. Ceux-ci ont en outre trouvés des continuations ces dernières années avec les télévangélistes (Billy Graham, Jerry Falwell), qui constituent, avec les born again les facettes les plus mystérieuses de la religiosité américaine.

Je voudrais néanmoins saluer l'avant-dernier chapitre du livre, qui reprend de manière admirable le phénomène le plus saillant de la vie politique américaine depuis 1960 : le triomphe des républicains dans le sud, dont j'ai déjà parlé dans ma recension de la bio de Johnson. Car il faut savoir qu'à l'époque de FD.Roosevelt, le candidat démocrate pouvait faire 95% des voix dans un Etat du Sud. Aujourd'hui ces Etats sont presque ingagnables par les mêmes démocrates. La raison, déjà exposée ici, est que les lois contre la ségrégation raciale ont diminué l'impact des démocrates dans le deep south. Et que les républicains, aiguillés par la belle réussite dans cette zone du candidat Goldwater en 64, ont oeuvré pour prendre le sud aux démocrates. La politisation des évangélistes, très influents dans cette région, a fait partie de cette stratégie. En défendant la liberté scolaire au sud (le choix pour les gens d'aller dans des écoles privées confessionnelles financées par l'argent public, mais fermées aux noirs...), les élus républicains se sont agrégés les défenseurs de l'évangélisme sudiste. Les républicains ont peu à peu acquis une grande assise religieuse et ont de ce fait dominé la Présidence et le Congrès, sauf à de rares occasions, depuis les années 70...
Seulement, maintenant, la majorité morale et la droite chrétienne ont isolé les républicains dans une stratégie intenable à terme, car trop radicalement identifiée aux vues de celles-ci. S'ils l'abandonnent, ils perdent une base sûre de leur électorat... s'ils la gardent, ils perdent le centre. Les prochaines élections seront à cet égard décisives.


Je regrette cependant que Denis Lacorne n'ait pas été plus ambitieux dans la composition de cet essai : 200 pages, c'est un peu court pour réellement aborder le sujet. Ce défaut serait mineur si l'auteur n'hésitait pas en permanence entre la description de ce que les auteurs français pensent de la religion en Amérique - voire de l'Amérique tout court - et l'explication du phénomène religieux outre-atlantique. Deux perspectives dans un espace aussi étroit, c'est l'assurance de n'en traiter aucune de manière satisfaisante. Néanmoins, il serait faux d'en conclure à l'inutilité de l'entreprise. En ce qui concerne le rôle des puritains dans les premiers temps de la colonisation, la question évangélique ou la lutte des catholiques pour la respectabilité, l'ouvrage de Denis Lacorne donne une bonne idée, synthétique, de la question. Là où il est le meilleur, sans surprise, c'est lorsqu'il se détache de la "vision des voyageurs français" pour expliquer réellement certains aspects du mécanisme religieux en Amérique. Par contre, lorsqu'il se contente de compiler les avis plus ou moins éclairés des intellectuels de l'hexagone, le doute s'instille. Non que les avis de Tocqueville, Chateaubriand, Mounier ou Sartre soient inutiles. Mais ils n'ont guère leur place dans cet ensemble. Ou alors il faudrait l'intituler Du regard des français sur la religion en Amérique. Je n'ai pas trouvé ces passages pertinents, même s'ils étaient instructifs dans leur critique parfois outrée de la civilisation américaine, trop religieuse ou trop matérialiste (les avis du chef du file du personnalisme, aujourd'hui un peu oublié, qu'était Emmanuel Mounier m'ont donné envie d'aller voir plus avant dans l'histoire intellectuelle des fondateurs de la revue Esprit)
En conclusion, la construction du livre serait à revoir... et le fond à étoffer. Mais le lecteur novice y trouvera d'intéressantes informations.

 

 
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30 novembre 2007 5 30 /11 /novembre /2007 19:00
On continue avec un rythme effréné de recensions! Je crois avoir trouvé le meilleur moyen de rédiger ces petits billets. Il m'aura fallu un an et demi. C'est toujours mieux que rien. En relisant vaguement ce que j'ai déjà fait, je me rends compte que j'oscille entre un style scolaire invertébré et un style compilateur sans avis... Va falloir sérieusement définir ce que je veux faire ici, maintenant que je sais comment me motiver! Bon, concernant le livre d'aujourd'hui, Philippe Nemo, professeur de philosophie, s'attaque ici à une des problématiques les plus intéressantes de l'histoire globale : qu'est-ce que l'occident? Comment le définir? Quelles sont ses caractéristiques? Ses limites? Ses spécificités? Ce petit livre (130 pages) ne cherche pas à développer une thèse originale mais synthétise une définition possible de l'Occident.


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Selon Nemo, les nations d'Europe occidentale ont connu cinq grandes révolutions, cinq étapes qui ont marqué leur évolution et ont fait d'elles les composantes d'une entité spécifique au regard des autres régions du monde. Ce sont ces cinq apports qui permirent le "miracle" qui transforma la péninsule du vaste continent asiatique en modèle dominant la planète et la modelant au gré de ses conquêtes.

Très classiquement, Nemo d'abord met en exergue la Grèce. Ses inventions, la Cité (il reprend ici les caractéristiques dévoilées par JP Vernant, à savoir : souveraineté collective, espace public de débat, rôle de la raison, égalité, religion civique, invention du politique), la science, l'école et l'égalité - isonomie - des citoyens transforment violemment le rapport de l'homme au monde. De vertical, celui-ci devient horizontal.

Ensuite, l'apport du droit romain, qui invente la stricte délimitation des patrimoines et des individus, constitue une deuxième révolution. La Cité était un gouvernement des égaux, indifférenciés. Rome distingue les individus et formalise l'apparition de l'ego, source future de l'humanisme et de l'individualisme moderne.
Troisième révolution : l'eschatologie chrétienne et plus largement biblique, qui induit une rébellion contre la normalité du mal, une lutte qu'elle voit éternelle contre lui, une distinction vertu/pêchés que ne mettait pas en avant les cultes païens. L'individu et la société doivent désormais tendre vers leur transformation, leur amélioration. C'est la création d'un temps historique pour l'humain. L'apparition du progrès (et des premières oppositions millénaristes-révolutionnaires contre réformistes)
Avant-dernière étape, moins connue, la révolution papale grégorienne (et post grégorienne, Grégoire VII ayant politiquement et conjoncturellement plutôt échoué, mais ses idées lui survivront) au XIes et XIIes siècles. Revenant sur l'apathie contemplatrice dérivée de l'augustinisme politique, le grégorisme réintroduit l'Eglise dans le monde temporel. Eléments fondamentaux de la parousie papale? La reprise en main d'une organisation religieuse passablement décatie et corrompue, la création des universités (au premier rang desquelles Bologne, Paris et Oxford), la formation de prêtres, la lutte contre le pouvoir temporel et enfin l'idée, nouvelle, selon laquelle l'homme peut se racheter de ses mauvaises actions par des bonnes (qui aboutira à la cration du purgatoire). Son ampleur préfigurera celle du luthérianisme quatre siècles plus tard.
Enfin dernière révolution, plus évidente, l'invention du libéralisme intellectuel, politique et économique. Les sociétés occidentales deviendront pluralistes, cherchant là le meilleur moyen d'organisation possible et permettant de ce fait le progrès des idées, des sciences et des arts.

Voilà, rapidement résumé, ce qui constitue l'occident aux yeux de Nemo. De ces caractéristiques, l'auteur tire une double conclusion. La première, la formule élaborée par l'occident, désormais universalisée, ne peut pas être remise en cause, car elle a constitué un saut évolutionnaire réel et complet pour l'espèce humaine - au niveau scientifique comme au niveau sociétal. La transformation est trop forte pour être effaçable ou oubliable. La seconde, c'est que les pays qui ont partagé ces cinq révolutions (l'Europe de l'ouest, la scandinavie, le monde germanique, les îles britanniques, et leurs dérivés américain, canadien, australien et néo-zélandais) forment une civilisation à part entière - avec plus de points communs que de différences - ; ils doivent reconnaître cette identité et les différences qu'elle entraîne avec le monde proche et lointain, et fonder une confédération occidentale. Là je trouve le propos plus conjoncturel et moins convaincant...



En conclusion, un livre qui ne s'interroge pas sur le "pourquoi" (pour cela voir Cosandey, Diamond ou Baechler) mais sur le "quoi". Les critères choisis me paraissent pertinents, mais la brieveté regrettable de l'ouvrage, malgré son appareil critique consistant, empêche une pleine adhésion. Aux partisans d'un Occident défini par son positionnement géographique, ses ethnies, ses croyances, Nemo oppose un Occident de la Raison, un Occident des idées, issu du long mouvement des sociétés. N'est-ce pas trop déconnecté de l'économie? de la géographie? de l'histoire? de la sociologie? Si l'on reprend Cosandey (une lecture croisée aurait pu être envisagée si Nemo avait été plus ambitieux), les erreurs traditionnelles dans l'analyse des raisons de la spécificité européenne sont les lectures religieuse, ethnique, culturelle, climatique et contingente. Nemo voit dans la religion, la culture et même le hasard des facteurs d'explication. En fait, les deux auteurs se situent à deux degrés différents : Cosandey cherche l'origine absolue, scientifiquement démontrable, du développement plus important connu par l'Europe. Nemo ne cherche qu'à rendre compte de ce qu'est, pour lui, l'occident. Les raisons de ce développement occidental, Nemo n'a pas cherché à les dégager. En tout cas il a vu les grandes lignes de convergence entre les sociétés européennes et leurs héritières. Se pose alors la question de la légitimité de la notion d'occident. En avons nous besoin? Pourquoi? Ceux qui liront Nemo en devineront bien les raisons dans les notes de bas de page... et selon leurs convictions, suivront l'auteur ou le négligeront.

Une petite introduction à la question de l'occident et du miracle européen, qui pose néanmoins des jalons pour un approfondissement ultérieur.
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26 novembre 2007 1 26 /11 /novembre /2007 00:59
Chaque lecteur possède en son for intérieur un panthéon et un enfer, des lieux où il élève ou rabaisse en toute liberté tel et tel écrivain. Un tel haïra ce qu'un autre révèrera. Je suis par exemple un lecteur passionné de Joseph Conrad, que je tiens comme un des maîtres du roman moderne, un adorateur de Selma Lägerlof et de la magie qu'elle distilla dans ses romans, un grand admirateur de Saramago, de Borges ou de Tolstoï. Par contre, pas moyen de me faire rentrer dans les romans d'Emile Zola, impossible de supporter la prose d'Angot, incapacité complète de lire sans m'endormir les "romans" de KS.Robinson. Nous avons des goûts qui parfois ont peu à voir avec la respectabilité supposée des auteurs. Certains livres ont été écrits pour nous, quelques pages, parfois quelques lignes suffisent. Le coeur est touché. La conscience s'élève. L'émotion saisit. D'autres ouvrages n'ont visiblement rien à faire dans notre bibliothèque : affliction, ennui, répulsion,...
Le petit voyage au coeur des goûts littéraires d'un individu, à fortiori académicien, écrivain et critique, Dominique Fernandez, amoureux de l'Italie nous le propose ici.


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Première remarque, si c'est là le livre d'un adacémicien français, nul académisme pesant ici, pas de théories illisibles, pleines de labilité et d'intertextualité. Seul compte le plaisir de l'amateur... et quand même, quelques réflexions supplémentaires sur l'art du roman et de la fiction. Un peu comme Charles Danzig, et son dictionnaire fort subjectif de la littérature française, Fernandez ne fait pas oeuvre de systématisme, de neutralité et d'exhaustivité. Dès les premières pages, on comprend que le critique ne partage guère les modes et les idées des doctrinaires de la littérature contemporaine. Opposé radicalement à la littérature égotiste et narcissique qui emplit les rayons des librairies françaises depuis des années, il cherche ici à nous guider parmi les auteurs et les romans qui comptent à ses yeux. Contre une littérature asphyxiée, celle de Borges et de Valéry, contre une littérature de l'autofiction, celle d'Angot et de Beigbeder, Fernandez trace un chemin dans l'immense champ de la littérature française, européenne et mondiale.

L'ouvrage se partage en deux parties: la première, centrée sur la conception fernandezienne de la fiction, la seconde traitant, dans des chapitres de taille inégale, des auteurs qui ont retenu l'attention du critique. Selon lui, la littérature qui compte - et qui a été injustement jetée aux oubliettes - est celle des conteurs, de ceux qui créent d'après les potentialités de leur personnalité des personnages crédibles. Une littérature riche, vivante, animée, pleine d'action et d'aventures, dans laquelle le lecteur trouve à la fois la patte de l'auteur et des réponses à ses propres interrogations. A celle-ci s'oppose une littérature fermée, égoïste, arc-boutée sur ses contraintes stylistiques, agonisante à force de ne plus se concentrer que sur sa propre forme. En bref, Stendhal ou Flaubert! La vie, riche de toutes les possibilités de l'être, pleine des aventures potentielles des destinées de chacun contre le désert stérile et mortifère des auteurs de la modernité.


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Stendhal ou Flaubert?
Fernandez a choisi le moins moustachu des deux!


Je schématise. Fernandez est plus fin que moi. Il dispose de plsu de place, de plus de temps. Mais en substance, il oppose la recherche de la fiction romanesque d'un Tolstoï, d'un Stevenson, d'un Conrad à l'égocentrisme de Proust, au formalisme de Flaubert, aux recherches formelles du nouveau roman (rarement évoqué, mais présent en filigrane). Réhabiliter Dumas, ressuciter Dickens aux dépens de Faulkner ou de Joyce, voilà l'un des objectifs du livre. La liste des auteurs évoqués est longue, mais je voudrais quand même remercier Fernandez d'avoir su en quelques pages parler si bien d'Herman Melville, de Daniel Defoe et de Martin du Gard... Surprenante évocation également de Maurice Dekobra, de Gustave Aimard et d'Erskine Caldwell, pour le moins oubliés de nos jours.

Je m'étonne même d'ailleurs qu'il n'ait ressorti d'autres auteurs français complètement oubliés, dont le XIXe siècle est rempli (Ernest Capendu par exemple, qui n'a même pas l'honneur d'être wikipédié, sûrement un oubli des listeurs professionnels...)

Le lecteur s'irritera parfois des oukases de Dominique Fernandez, de son rejet de tel ou tel. Mais l'objectif de ce livre est ailleurs : faire partager, dans une seconde partie plus importante que la première, les auteurs à découvrir ou redécouvrir. Ces auteurs que Fernandez a aimé. Certains se voient gratifiés d'un chapitre très long, d'une analyse plus poussée (Stendhal, Simenon ou Kundera), d'autres sont simplement sortis de l'oubli en quelques pages (Aimard, Istrati, Perutz), d'autres enfin ne sont mis en exergue que pour l'exposé des limites de leur oeuvre (Larbaud, Gide et en moindre mesure Thomas Mann).

Ce parcours éminemment subjectif et partial n'a d'autre vocation que de faire découvrir et redécouvrir, au-delà des théories littéraires, des écrivains marquants et qui méritent le détour du lecteur. J'ai trouvé l'entreprise plutôt réussie, même si un soupçon d'homogénéité supplémentaire dans les présentations n'aurait pas été une si mauvaise idée. Je n'entrerai pas dans le débat de savoir si certains écrivains sont injustement traités ici. Après tout, ce n'est qu'un guide partiel et partial, pas une encyclopédie (je continuerai à apprécier Borges quand même!). J'ai donc apprécié l'entreprise à sa juste valeur, comme le témoignage des goûts littéraires d'un critique et romancier. Rien de plus. Rien de moins. 
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19 novembre 2007 1 19 /11 /novembre /2007 23:41
Robert Louis Stevenson, qui n'a strictement aucun rapport avec cette recension, écrivant à un jeune homme désireux de se lancer dans la carrière des lettres, évoqua le caractère stupéfiant et abrutissant du travail. Et la difficulté pour tout un chacun de lui résister et de conserver suffisamment d'énergie physique et mentale pour réaliser ce qui compte vraiment au fond. Je ne suis pas encore assommé par le travail, mais parfois je m'en approche. Cependant, je garde chevillée au coeur la foi en la capacité rédemptrice de l'activité intellectuelle, quelle qu'elle soit. Et je ne m'agenouillerai pas devant les exigences robotisées de ma profession. Conscience professionnelle certes, mais conscience avant tout. Conscience des aspirations qui sont miennes et qui me portent à développer ma curiosité dans de nombreux domaines. Evidemment, ce n'est que la vaine résistance d'un autodidacte qui trouve dans la connaissance et la curiosité les moyens de pallier l'incroyable désintérêt qu'il éprouve envers des pans entiers de sa vie... Hum! Tout cela ne concerne guère l'éventuel lecteur. Ce site n'est pas un skyblog, donc revenons au sujet, un opuscule péniblement lu début octobre.

Umberto Eco raconta un jour qu'il s'était rendu compte d'une chose étrange. Dès que quelqu'un plaçait l'assassinat de Kennedy et les Templiers dans une explication historique, il s'agissait d'une théorie du complot, synonyme de paranoïa et de fonctionnement cérébral pathologique. L'essor d'internet a démocratisé ce genre d'approches depuis quelques années. Entre les lignées d'ADN lézard de David Icke, les délires de Thierry Meyssan, le trésor de Rennes-le-château, la trilatérale, les skull & bones, le champ d'exploration de tout apprenti découvreur de complot est vaste et fertile.



Pourtant prometteur,...

Cette mode, que X-Files avant-hier ou Dan Brown hier exploitèrent, méritait bien une analyse poussée de ses ressorts sociaux, psychologiques et politiques. Véronique Campion-Vincent, auteur d'ouvrages sur les légendes urbaines s'est essayée à pousser la porte du monde fascinant de la paranoïa individuelle et surtout collective...

Et c'est raté. Dommage. Car le projet aurait vraiment pu être passionnant. En 150 pages, avec de nombreuses références à internet, beaucoup d'exemples mais très peu d'analyses, je suis resté sur ma faim. Les délires de David Icke ou la réfutation de la légende de l'abbé Saunières sont les meilleurs passages d'un livre qui en compte peu. Car ils n'éclairent que fugacement un bien terne paysage. Là où on aurait voulu mieux comprendre les mécanismes d'apparition, de développement et de disparition de ces mythologies contemporaines, l'auteur se complait dans la compilation des différentes théories. Citant d'abondantes sources du réseau mondial, elle les collationne telle un wikipédiste amateur. Parfois, quelques traits saillants, quelques pistes de compréhension entr'aperçues, mais le plus souvent une morne description des plus connus des complots.

Une monographie sur ce thème se devait d'aborder les quelques exemples les plus marquants, mais également de les expliquer, voire de les décortiquer jusqu'à ce que leurs ressorts cachés apparaissent au lecteur. Le ton hésite sans cesse entre ironie moqueuse et admiration à peine dissimulée : la capacité imaginative de certains découvreurs-inventeurs de complots est certes admirable, mais elle ne révèle rien ni des mécanismes qui irriguent leurs théories, ni du terreau dans lequel celles-ci se développent. Le défaut de ce livre est probablement son manque d'esprit critique envers certaines théories du complot. Ne pas mépriser son sujet d'étude est une chose, lui complaire en est un autre...

Au niveau analyse, Véronique Campion-Vincent estime que l'hyper scientifisation de notre société appelle le retour à une causalité totale et mystérieuse des ressorts de notre existence, aux limites de la foi, qui permette à l'individu de se réapproprier son rapport au monde. Thématique déjà abordée dans son ouvrage sur les légendes urbaines, bien plus intéressant. Seulement, de ce qui aurait pu constituer le coeur d'une analyse poussée et acérée, elle ne fait qu'une banale conclusion peu etayée. Le caractère mini-encyclopédie des savoirs option "complot" de ce petit livre ne mérite pas qu'on s'y arrête plus d'une soirée. Le plus intéressant peut-être se situe dans les sources, qui permettront au lecteur intéressé de naviguer au plus près des psychoses collectives contemporaines, sans malheureusement disposer des clés d'entrée pour les comprendre et les analyser.

Véronique Campion-Vincent n'a cherché qu'à décrire. Seulement, dans cet exercice, c'est beaucoup trop court. Si je voulais être mauvaise langue, je dirais cependant qu'au vu de la portée et la profondeur de ses analyses, c'est déjà trop long.

Dommage, car son livre sur les légendes urbaines valait un petit détour. Essai manqué!
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6 novembre 2007 2 06 /11 /novembre /2007 19:43
Une question fondamentale taraude les amateurs d'histoire globale : pourquoi sont-ce les occidentaux qui ont découvert et développé le plus amplement la science? Et pas la Chine, les musulmans, les indiens ou même les Aztèques? Qu'est ce qui peut expliquer l'incroyable destinée de cette péninsule de l'Eurasie et l'avance qu'elle a su prendre, à un moment décisif et déterminé, en matière de technique? De nombreux auteurs, dont Braudel, Baechler ou Diamond ont tenté d'esquisser une réponse, qui privilégiant l'approche économique, qui l'approche sociale, qui l'approche environnementale. Théories toujours incomplètes dont le dernier avatar est l'article de Walter Russell Mead dans l'avant dernière livraison d'American Interest, la revue de Fukuyama, où il explique l'essor anglo-saxon par la diversité religieuse qui s'y fait jour aux XVIe et XVIIe siècle.




Le livre


Aucun auteur n'est cependant parvenu à établir qu'il y avait derrière le miracle européen une loi scientifique.
C'est ce que cherche à démontrer David Cosandey, physicien, dans cette vaste synthèse de près de 900 pages. Le moins que l'on puisse dire, de mon point de vue, c'est qu'il parvient à rendre un avis extrêmement convaincant et argumenté.
Son hypothèse de départ est que pour tout développement scientifique, connu par quatre civilisations mondiales (Europe occidentale, Chine, Inde, Islam) à des moments différents de leur histoire, il y a forcément une élite de scientifiques. La société doit être suffisamment stable pour permettre l'émergence d'une classe de chercheurs qui ait suffisamment de temps et de revenus pour se consacrer entièrement à leurs recherches (cf Diamond et l'approche agricole et environnementale du développement). Cosandey lie cette stabilité à deux facteurs : la richesse - ou au moins la croissance économique (il faut des marchands pour commencer à avoir des mathématiciens et des géographes qui faciliteront les finances, le commerce et la navigation) et la division de l'aire civilisationnelle en entités stables, dont la rivalité, si elle ne doit pas être mortelle, constitue un aiguillon pour les sciences appliquées (physique et mathématiques pour les artilleurs par exemple, la guerre et le prestige devenant les deux mamelles du développement technique).

Ces deux facteurs fondamentaux, richesse et division stable, ont toujours été présents aux moments de grand développement scientifique des civilisations : la Chine des huit royaumes ou du XIIIe-XIVe siècle, l'Inde du VIIe siècle, l'Islam de l'âge d'or, l'Europe de la Renaissance et de l'époque moderne.
Cosandey développe longuement le destin de ces quatre civilisations, avec force exemples.



Puis, pour aller plus loin, il cherche le facteur favorisant cette division stable/prospérité économique. Seconde thèse du livre : la thalassographie articulée. C'est la présence de multiples îles, d'un trait de côte particulièrement découpé qui serait l'élément ultime de l'explication scientifique. C'est le cas de l'Europe, c'est moins celui de la Chine, encore moins de l'Islam ou de l'Inde. Quelques éléments supplémentaires - climatiques - s'ajoutent alors à ces considérations géographiques et expliquent que certaines zones favorisées en matière de thalassographie n'aient pu s'en sortir (le nord du Canada/Labrador, les Antilles/golfe du Mexique, l'Indonésie...).



Les développements de la Grèce, du Royaume-Uni ou du Japon viennent accréditer cette thèse. Explication très simplifiée : sur un espace limité, découpé, et archipellisé, les grands empires ont moins de chance de s'instaurer et de supprimer toute possibilité de division stable, voire même de prospérité économique. La présence de la mer encourage le commerce qui y a toujours été plus facile, plus rentable et plus massif que par voies terrestres.
Enfin dernière thèse, les empires terrestres (mongol, romain, chinois,etc...) lorsqu'ils englobent toute une aire civilisationnelle la précipitent dans une stagnation puis un déclin scientifique, car ils empêchent toute concurrence (un savant ne peut fuir dans une autre cour ; une seule voie de recherche est privilégiée, jusque dans l'échec ; le bon vouloir arbitraire du Prince/Empereur est fondamental et contre-productif)

Voilà, vite résumés les traits saillants d'un des livres les plus marquants que j'ai lu cette année. J'ai simplifié à outrance la thèse de Cosandey, mais le livre lui-même comporte plus de nuances et de variations. Ses explications des miracles grec puis européen, de la domination des empires continentaux russe et américain au XXe, de l'arrêt de la recherche/conquête spatiale faute de concurrence, tout comme ses audacieuses réflexions sur notre destin à long terme (l'espace proche où nous ne pourrons nous étendre...) ont au moins le mérite de faire réfléchir sur notre histoire et sur notre devenir. Qu'on soit d'accord ou pas.


Car comme l'indique C.Le Brun, normalien, dans son introduction à Cosandey, le pire pour ce livre serait de rester ignorer : la somme qu'il constitue est un formidable matériau de recherches ultérieures pour les historiens des sciences, les géographes, les sociologues et plus généralement tous les chercheurs en sciences humaines qui pourraient réfuter, amender ou accréditer le travail de David Cosandey.

Un des livres les plus méritoires qu'il m'ait été donné de lire ces derniers temps!


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