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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

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13 janvier 2008 7 13 /01 /janvier /2008 21:00
  Après deux semaines de vacance, loin d'un ordinateur, je me retrouve en retard de recensions. Néanmoins pendant cette pause, plus courte que les précédentes, j'ai eu le plaisir de voir David Cosandey parler, sur son site, et en bien, de la chronique que j'ai consacrée à son ouvrage Le secret de l'occident. Il est suffisamment rare qu'un auteur lise ce que ses lecteurs ont pensé de son livre pour que je le remercie ici. Voilà exactement ce qui justifie ce modeste blog. L'internet permet ainsi, de temps à autre, de manière totalement surprenante, la mise en relation entre un auteur et un de ses lecteurs. Ce n'est pas grand chose, cependant cela me conforte dans ma décision de l'automne de continuer à écrire des recensions, à un rythme plus élevé. Je n'attend évidemment pas de telles gratifications symboliques d'une bonne partie des auteurs des livres recensés sur ce site, pour la bonne et simple raison qu'ils sont ... morts. Situation de l'auteur de Voyage Babylonien, recensé aujourd'hui (quelle jolie transition!)


doblin.jpg

Alfred Döblin, écrivain allemand exilé par l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933, est notamment l'auteur de Berliner Alexanderplätz, adapté au cinéma en 1980 par Rainer Fassbinder. Dans Voyage Babylonien, il retrace les aventures d'un dieu babylonien déchu de son olympe. Idée originale d'ailleurs : Conrad - l'usage de noms allemands résonne bizarrement - fut longtemps le dieu majeur du panthéon babylonien. Créateur de l'univers, roi des dieux, dieu des rois, il régna dans toute sa superbe durant des siècles, voire des millénaires. Seulement, un jour, il s'éveilla dans son palais, affamé, usé, vieilli. Plus personne pour l'adorer, plus personne pour le vénérer et le nourrir (de manière assez particulière d'ailleurs, la description est savoureuse), seulement un vieux château dans les nuages, silencieux, occupé par soixante serviteurs cadavériques. Rapidement, le souffre-douleur du panthéon babylonien, un sous-dieu objet de tout le mépris de Conrad, survint. Georges - c'est son nom... - expliqua à Conrad qu'il ne régnait plus sur rien, que sa démesure et son emphase, sa rapacité et son avidité avaient mis fin à la civilisation babylonienne et qu'il avait été supplanté, dans l'univers, par un Dieu plus puissant, qu'on devine être celui des chrétiens. Décontenancé, Conrad accepta néanmoins la proposition de Georges, à savoir descendre sur terre. Le Sous-Dieu espérait en tirer la vengeance de siècles d'humiliations ; Conrad voulait vérifier les dires de Georges et essayer de reprendre son pouvoir.


doeblin.jpgAlfred Döblin

Ainsi commence Voyage babylonien, qui va entraîner Conrad, Georges et Waldemar (un des soixante serviteurs) à travers l'Europe de l'entre-deux-guerres. Ce motif original permet à Alfred Döblin d'entamer une réflexion sur la condition humaine, à travers le prisme d'un Dieu contraint et forcé de devenir un homme et de partager les joies et les peines de cette destinée. Des déserts mésopotamiens à Paris, en passant par Bagdad, Constantinople et Zürich, ce long voyage est avant tout une réflexion sur l'exil et la destinée. Seulement, pas de tragique ici, Döblin préfère le ridicule et le comique au pathos pour conter les aventures de ce dieu irresponsable, incapable et profiteur. Il lui adjoint deux comparses : Georges, le truand, qui comprendra peu à peu les rouages de la société jusqu'à faire fortune, avec cynisme et froideur, sans aucune morale ; Waldemar, le pauvre serviteur, pathétique, alcoolique, incapable de prendre son destin en main. Ces deux archétypes qui accompagnent le dieu sont les deux faces extrême de la condition humaine : l'action égoïste et immorale d'un côté, la faiblesse incapable, naïve et pourtant généreuse de l'autre. Conrad oscillera tout le long du roman entre ces deux extrêmes, développant peu à peu une identité propre. Alors que les deux cent premières pages respirent un optimisme, une drôlerie peu communes dans la littérature allemande - on les sent inspirées des romans picaresques et des romans d'apprentissage du XVIIe et du XVIIIe siècle - peu à peu, le ton de Döblin se fait plus sombre. Conrad, si enthousiaste devant cette merveilleuse condition humaine se rend compte des drames et des épreuves qu'elle sous-tend. Trop hédoniste pour être froidement cynique, trop optimiste pour être désespéré, trop intelligent pour croire à la fable qui se déroule sous ses yeux, Conrad en vient peu à peu à expérimenter toutes les facettes du devenir humain, le succès comme l'échec, l'acceptation comme le refus du monde, et finira, apaisé, par les rejeter toutes.

Plus le roman s'avance, plus le lecteur sent l'acidité des propos de Döblin et la cohérence de l'ensemble s'en ressent quelque peu. Certaines scènes du début - notamment celles des cours d'histoire babylonienne dispensés par des margoulins incompétents - sont particulièrement drôles. D'autres scènes - plus avant dans le livre - ne laisse plus place qu'à une critique grinçante de la société. Döblin, qui ne raconte pas cette histoire d'un trait, mais part souvent dans des chemins de traverse pour conter telle ou telle histoire, décrit notamment un défilé des progrès du futur, que Georges commente au Tsar Alexandre II : un festival de propos grinçants, bien représentatifs des désillusions qui pouvaient être celles d'un allemand exilé en 1933 : armement, guerre, destruction, etc.... Les évènements politiques de l'époque sont assez peu abordés, quoique on puisse deviner, ici ou là, quelques mentions cachées de la situation des années trente.

La forme romanesque choisie par Döblin, celle du conte, avec de très nombreux apartés, laisse parfois le lecteur un peu perdu : il faut savoir se déprendre de la tradition romanesque et se laisser entraîner dans un ensemble parfois incohérent, mais extrêmement riche. J'ai aussi ressenti de manière diffuse, une thématique catholique : l'auteur finira par se convertir une décennie plus tard, à cette religion. La symbolique du dieu qui se fait homme pour connaître les épreuves de l'humanité souffrante est évidemment chrétienne (même si Conrad a une perception de ce partage des épreuves quelque peu particulier). Mais c'est tout le roman qui finalement est parcouru par des préoccupations chrétiennes et catholiques, sans pour autant être "un roman réaliste papiste". C'est encore assez sous-jacent et flou dans l'oeuvre de Döblin à ce moment-là. L'autre grand thème, c'est évidemment celui de l'homme exilé : soulagé et heureux au moment où il quitte enfin cette patrie où il ne pouvait plus vivre, puis de plus en plus intrigué et déçu par les personnes qui s'agitent autour de lui, avant d'essayer de reconstruire quelque chose, loin, le plus éloigné possible de la société elle-même, qui lui rappelle chaque jour dans son altérité qu'il est lui-même un exilé, loin de chez lui. Un thème pessimiste, qui est celui que partagent les exilés politiques (ou ici divins), traverse l'évolution de Conrad, éloigné de sa patrie, sans plus d'espoir d'y revenir et qui doit reconstruire ailleurs.

Ce roman, très riche au fond, un peu décevant dans la forme (le langage hésite souvent entre le lyrique et le trivial - si c'est voulu, c'est parfois malhabile ; les digressions sont parfois peu convaincantes), ce roman donc, examine les affres de la condition humaine, un sourire, gai ou cynique, aux lèvres. Rions de peur d'avoir à en pleurer aurait dit Beaumarchais. Peu à peu ce sourire s'efface et, aux yeux de Conrad comme des nôtres surgit toute l'absurdité de l'existence. Un conte instructif, quoique un peu vain.
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