2 juillet 2006
7
02
/07
/juillet
/2006
23:00
Retour après quelques semaines chargées en lectures avec ce roman scandinave - je découvre la littérature nordique en ce moment. Je suis désolé pour le rythme fort irrégulier des recensions, mais mon ardeur "bloguesque" a faibli ces derniers temps. J'ai plusieurs brouillons d'articles en réserve, j'espère pouvoir en finaliser la plupart d'ici peu. J'ai vu qu'on pouvait programmer des parutions. Il y aura donc des articles d'ici septembre - en principe.
Pär Lagerkvist fait partie de la grande famille des écrivains nordiques à avoir eu un Prix Nobel - de littérature évidemment - au cours du XXe siècle (1951). Souvent méconnus en France par le grand public, ces écrivains ont néanmoins écrit des chefs d'oeuvre de la littérature mondiale. Auprès des norvégiens Knut Hamsun et Sigrid Undset, de sa compatriote suédoise Selma Lägerlof et de l'islandais Halldor Laxness, Pär Lagerkvist (1891-1974) fut l'un des plus brillants romanciers scandinaves du siècle dernier. Le Nain, écrit et publié pendant la seconde guerre mondiale, lui permit d'obtenir la reconnaissance internationale.
Ce roman assez court, 260 pages, se lit rapidement et sans grandes difficultés. Il est évidemment plus abordable, sur la forme, que Fénelon, objet de la recension précédente. Point de grandes descriptions ampoulées ou de lourdes réflexions philosophiques ici. Cette apparente facilité pourrait être le signe d'une faiblesse stylistique. Pourtant, ce n'est pas le cas. Au contraire, Lagerkqvist a une certaine adresse pour trouver le mot juste, le terme le plus direct sans s'embarasser de circonvolutions. Au vu du narrateur, il eut d'ailleurs été malvenu de ne pas utiliser ce style alerte, fait de phrases courtes et percutantes.
Pär Lagerkvist fait partie de la grande famille des écrivains nordiques à avoir eu un Prix Nobel - de littérature évidemment - au cours du XXe siècle (1951). Souvent méconnus en France par le grand public, ces écrivains ont néanmoins écrit des chefs d'oeuvre de la littérature mondiale. Auprès des norvégiens Knut Hamsun et Sigrid Undset, de sa compatriote suédoise Selma Lägerlof et de l'islandais Halldor Laxness, Pär Lagerkvist (1891-1974) fut l'un des plus brillants romanciers scandinaves du siècle dernier. Le Nain, écrit et publié pendant la seconde guerre mondiale, lui permit d'obtenir la reconnaissance internationale.
Ce roman assez court, 260 pages, se lit rapidement et sans grandes difficultés. Il est évidemment plus abordable, sur la forme, que Fénelon, objet de la recension précédente. Point de grandes descriptions ampoulées ou de lourdes réflexions philosophiques ici. Cette apparente facilité pourrait être le signe d'une faiblesse stylistique. Pourtant, ce n'est pas le cas. Au contraire, Lagerkqvist a une certaine adresse pour trouver le mot juste, le terme le plus direct sans s'embarasser de circonvolutions. Au vu du narrateur, il eut d'ailleurs été malvenu de ne pas utiliser ce style alerte, fait de phrases courtes et percutantes.

Par Lagerkvist
L'histoire se déroule pendant la Renaissance italienne. Ce n'est pourtant pas un roman historique. L'auteur ne cite aucune date, aucun lieu, aucun nom réel. Le lecteur devine dans tel ou tel personnage des références historiques, mais elles n'occupent pas le premier plan. Ni conspirations à la Dumas, ni aventures à la Walter Scott ici. Il s'agit du journal d'un nain. Et c'est là l'originalité de l'ouvrage. Lagerkqvist décrit, par ce narrateur monstrueux interposé, la vie quotidienne d'une cour italienne de la renaissance. Et ci cette vie de courtisans semble plaire à ceux qui la vivent, elle ne suscite chez le nain que des commentaires dédaigneux, qui se transformeront peu à peu en une exécration criminelle. J'y reviendrai plus tard. Le nain, donc, décrit d'abord les différents personnages de la cour : le Prince (il est appelé ainsi tout le roman), qui agit comme le Prince de Machiavel (référence visible de l'auteur), sans scrupules, sans morale, sans autre guide que son appétit de pouvoir ; son épouse, la princesse qui le trompe avec un jeune bellâtre présomptueux, don Ricardo ; Maître Bernardo, l'artiste derrière qui on devine Léonard de Vinci (il peint la Cène et invente des armes de guerre) ; la fille du Prince, Angelica, fade et romantique,...
Cette aimable galerie pourrait constituer la trame de n'importe quel roman historique de gare - Dieu sait si le genre est à la mode en France actuellement. Et c'est justement là que Lagerkqvist montre son talent. Le nain raconte, d'un ton dégoûté et méprisant, les turpitudes de la cour. Il est contraint par la Princesse d'être le messager et l'entremetteur de ses aventures adultérines avec le méprisable Ricardo. Il est forcé d'assister aux débauches du Prince avec des ribaudes. Il raconte la frénésie des plaisirs auquel il ne prend évidemment aucune part. Et de cette frustration naît chez le chroniqueur une aversion envers la plupart des personnages de l'intrigue. Lorsque le Prince part en guerre contre ses ennemis, les Montanza (qui tiennent la cité voisine), il trouve enfin le terrain où extérioriser ses haines. Il devient alors un assassin, qui tire et des ordres du prince machiavélien et de son mépris des hommes la justification de ses crimes.
Ricardo, la princesse, sa fille Angelica, seront ses victimes directes ou indirectes. Le prince veut-il empoisonner les membres du clan Montanza lors de la signature du traité de paix qui conclut une guerre infructueuse? Ricardo, pourtant brillant capitaine pendant la guerre, se voit servir le calice funeste sous le regard du prince, que le nain imagine être approbateur. La princesse se reproche-t-elle la mort de Ricardo? Le nain prend sa revanche et contribue à détruire psychologiquement la femme infidèle en lui rappelant ses pêchés et en la forçant à se repentir douloureusement. La fille du Prince, Angelica, tombe-t-elle amoureuse de l'heritier des Montanza et l'accueille-t-elle subrepticement dans sa couche après la guerre? Le nain s'arrange pour tout raconter au Prince qui fait exécuter brutalement l'amant, entraînant peu après le suicide de la jeune amoureuse. Tout ce que touche le nain finit par être détruit de ses propres mains. Lagerkvist entraîne de cette manière le lecteur dans l'univers mental d'un monstre...
Cette aimable galerie pourrait constituer la trame de n'importe quel roman historique de gare - Dieu sait si le genre est à la mode en France actuellement. Et c'est justement là que Lagerkqvist montre son talent. Le nain raconte, d'un ton dégoûté et méprisant, les turpitudes de la cour. Il est contraint par la Princesse d'être le messager et l'entremetteur de ses aventures adultérines avec le méprisable Ricardo. Il est forcé d'assister aux débauches du Prince avec des ribaudes. Il raconte la frénésie des plaisirs auquel il ne prend évidemment aucune part. Et de cette frustration naît chez le chroniqueur une aversion envers la plupart des personnages de l'intrigue. Lorsque le Prince part en guerre contre ses ennemis, les Montanza (qui tiennent la cité voisine), il trouve enfin le terrain où extérioriser ses haines. Il devient alors un assassin, qui tire et des ordres du prince machiavélien et de son mépris des hommes la justification de ses crimes.
Ricardo, la princesse, sa fille Angelica, seront ses victimes directes ou indirectes. Le prince veut-il empoisonner les membres du clan Montanza lors de la signature du traité de paix qui conclut une guerre infructueuse? Ricardo, pourtant brillant capitaine pendant la guerre, se voit servir le calice funeste sous le regard du prince, que le nain imagine être approbateur. La princesse se reproche-t-elle la mort de Ricardo? Le nain prend sa revanche et contribue à détruire psychologiquement la femme infidèle en lui rappelant ses pêchés et en la forçant à se repentir douloureusement. La fille du Prince, Angelica, tombe-t-elle amoureuse de l'heritier des Montanza et l'accueille-t-elle subrepticement dans sa couche après la guerre? Le nain s'arrange pour tout raconter au Prince qui fait exécuter brutalement l'amant, entraînant peu après le suicide de la jeune amoureuse. Tout ce que touche le nain finit par être détruit de ses propres mains. Lagerkvist entraîne de cette manière le lecteur dans l'univers mental d'un monstre...

L'action n'a pas de lieu bien précis, mais on peut deviner Florence...
Le roman se finira mal pour le nabot criminel. Mais il aura réussi à se venger de l'immense frustration que représentait pour lui cette vie de cour. Et c'est là, je pense, l'essentiel du message de Lagerkvist. Dans une microsociété de plaisirs, celui qui en est exclu en vient à haïr ceux qui profitent de ce qui lui restera toujours inaccessible - il n'y a qu'à lire les pages sur l'amour pour le comprendre. Et la frustration menant à la haine, si rien ne vient la réfréner, la haine poussera au crime. Attention, le nain ne tue pas forcément ses victimes, mais il contribue à leur perte en s'érigeant procureur de leurs faiblesses et de leurs inconséquences. Seul le Prince, icône machiavélienne, qui n'hésite pas à faire assassiner ses ennemis et à éliminer ceux qui ne lui servent plus à rien, peut échapper aux implacables jugements du nain. Il est le seul personnage à surnager de ces intrigues et de ces coteries, le seul également qu'admire le monstre. Et c'est d'ailleurs lui qui met fin à l'infâme carrière de son serviteur.
Le propos a une actualité évidente. L'exclu d'une société en vient naturellement à haïr ceux qui l'en écartent. Le nain se revendique d'une autre race que celle des hommes. Il cherche à établir une différence totale entre les aspirations des courtisans et les siennes propres, alors même qu'il est un serviteur du Prince lui aussi. De l'immense frustration qui résulte de la difformité physique naît une pulsion criminelle qui finit par ravager cette société de cour italienne. Le culte contemporain de l'hédonisme et la multiplication fictive des potentialités de réalisation des désirs ne créent-t-ils pas les mêmes conséquences sur ceux qui ne peuvent en profiter? Le sujet est cependant trop vaste pour que je m'essaie à y répondre ici. Cependant, le propos de Lagerkvist peut se rattacher de loin en loin, au vu de la date de publication (1944), à une partie de la problématique nazie. Un Reynhard Heydrich - collaborateur d'Himmler - , moqué pour son physique, exclu par les microsociétés dans lesquelles il tenta de s'intégrer, ne devint-il pas le plus impitoyable des bourreaux? Avec, comme pour le personnage de Lagerkvist, la belle excuse de l'obéissance, qui justifie tout, surtout l'injustifiable.
Et ce nain assassin, qui exécute sur des ordres plus ou moins clairs - l'empoisonnement de Ricardo notamment - et même inexistants, qui utilise sa frustration comme catalyseur de ses actes, qui se refuse à se considérer comme un être humain, n'est-il pas justement l'exemple du monstre que peut devenir un homme lorsque la frustration et la haine ne trouvent aucune limites dans la société qui l'entoure? Ce n'est pas un hasard si c'est la guerre contre les Montanza et ses conséquences qui constituent le point de départ de la plongée criminelle du nain. C'est lors de circonstances exceptionnelles et dramatiques, à des moments où l'histoire semble s'accélérer, que des opportunités se créent pour les marginaux, les déclassés, les déçus, de prendre leur revanche sur la société pacifique qui ne leur a rien accordé. Alors, le crime et l'immoralité prennent le dessus pour un moment. Pour un moment seulement, car comme la fin du roman le laisse suggérer, le rétablissement de la paix et de la stabilité renvoient ces criminels devant les conséquences de leurs actes. Ils rentrent alors dans des cachots qu'ils méritent d'occuper - mais les auraient-ils occupés sans frustration et sans guerre?
Le nain aurait-il assassiné, détruit, brisé si la guerre ne lui avait pas offert l'occasion de déchaîner sa haine? Avait-il un moyen de résister? Pouvait-il être sauvé? Lagerkqvist semble pessimiste à ce sujet. La fin laisse suggérer qu'une fois passé certains degrés dans l'exclusion, l'opprobre, le dégoût de soi et des autres, plus rien d'humain ne peut subsister. L'irruption du monstre est le fait de l'homme. Le déchainement de la haine et du meurtre ne sont pas la conséquence isolée et imprévisible de l'existence d'une figure exceptionnellement inhumaine. Elles suivent au contraire un enchaînement funeste très humain. La férocité du nain est aussi la conséquence de sa solitude, de son isolement et de sa difformité.
Le propos a une actualité évidente. L'exclu d'une société en vient naturellement à haïr ceux qui l'en écartent. Le nain se revendique d'une autre race que celle des hommes. Il cherche à établir une différence totale entre les aspirations des courtisans et les siennes propres, alors même qu'il est un serviteur du Prince lui aussi. De l'immense frustration qui résulte de la difformité physique naît une pulsion criminelle qui finit par ravager cette société de cour italienne. Le culte contemporain de l'hédonisme et la multiplication fictive des potentialités de réalisation des désirs ne créent-t-ils pas les mêmes conséquences sur ceux qui ne peuvent en profiter? Le sujet est cependant trop vaste pour que je m'essaie à y répondre ici. Cependant, le propos de Lagerkvist peut se rattacher de loin en loin, au vu de la date de publication (1944), à une partie de la problématique nazie. Un Reynhard Heydrich - collaborateur d'Himmler - , moqué pour son physique, exclu par les microsociétés dans lesquelles il tenta de s'intégrer, ne devint-il pas le plus impitoyable des bourreaux? Avec, comme pour le personnage de Lagerkvist, la belle excuse de l'obéissance, qui justifie tout, surtout l'injustifiable.
Et ce nain assassin, qui exécute sur des ordres plus ou moins clairs - l'empoisonnement de Ricardo notamment - et même inexistants, qui utilise sa frustration comme catalyseur de ses actes, qui se refuse à se considérer comme un être humain, n'est-il pas justement l'exemple du monstre que peut devenir un homme lorsque la frustration et la haine ne trouvent aucune limites dans la société qui l'entoure? Ce n'est pas un hasard si c'est la guerre contre les Montanza et ses conséquences qui constituent le point de départ de la plongée criminelle du nain. C'est lors de circonstances exceptionnelles et dramatiques, à des moments où l'histoire semble s'accélérer, que des opportunités se créent pour les marginaux, les déclassés, les déçus, de prendre leur revanche sur la société pacifique qui ne leur a rien accordé. Alors, le crime et l'immoralité prennent le dessus pour un moment. Pour un moment seulement, car comme la fin du roman le laisse suggérer, le rétablissement de la paix et de la stabilité renvoient ces criminels devant les conséquences de leurs actes. Ils rentrent alors dans des cachots qu'ils méritent d'occuper - mais les auraient-ils occupés sans frustration et sans guerre?
Le nain aurait-il assassiné, détruit, brisé si la guerre ne lui avait pas offert l'occasion de déchaîner sa haine? Avait-il un moyen de résister? Pouvait-il être sauvé? Lagerkqvist semble pessimiste à ce sujet. La fin laisse suggérer qu'une fois passé certains degrés dans l'exclusion, l'opprobre, le dégoût de soi et des autres, plus rien d'humain ne peut subsister. L'irruption du monstre est le fait de l'homme. Le déchainement de la haine et du meurtre ne sont pas la conséquence isolée et imprévisible de l'existence d'une figure exceptionnellement inhumaine. Elles suivent au contraire un enchaînement funeste très humain. La férocité du nain est aussi la conséquence de sa solitude, de son isolement et de sa difformité.