30 novembre 2007
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19:00
On continue avec un rythme effréné de recensions! Je crois avoir trouvé le meilleur moyen de rédiger ces petits billets. Il m'aura fallu un an et demi. C'est toujours mieux que rien. En relisant vaguement ce que j'ai déjà fait, je me rends compte que j'oscille entre un style scolaire invertébré et un style compilateur sans avis... Va falloir sérieusement définir ce que je veux faire ici, maintenant que je sais comment me motiver! Bon, concernant le livre d'aujourd'hui, Philippe Nemo, professeur de philosophie, s'attaque ici à une des problématiques les plus intéressantes de l'histoire globale : qu'est-ce que l'occident? Comment le définir? Quelles sont ses caractéristiques? Ses limites? Ses spécificités? Ce petit livre (130 pages) ne cherche pas à développer une thèse originale mais synthétise une définition possible de l'Occident.
Selon Nemo, les nations d'Europe occidentale ont connu cinq grandes révolutions, cinq étapes qui ont marqué leur évolution et ont fait d'elles les composantes d'une entité spécifique au regard des autres régions du monde. Ce sont ces cinq apports qui permirent le "miracle" qui transforma la péninsule du vaste continent asiatique en modèle dominant la planète et la modelant au gré de ses conquêtes.
Très classiquement, Nemo d'abord met en exergue la Grèce. Ses inventions, la Cité (il reprend ici les caractéristiques dévoilées par JP Vernant, à savoir : souveraineté collective, espace public de débat, rôle de la raison, égalité, religion civique, invention du politique), la science, l'école et l'égalité - isonomie - des citoyens transforment violemment le rapport de l'homme au monde. De vertical, celui-ci devient horizontal.
Ensuite, l'apport du droit romain, qui invente la stricte délimitation des patrimoines et des individus, constitue une deuxième révolution. La Cité était un gouvernement des égaux, indifférenciés. Rome distingue les individus et formalise l'apparition de l'ego, source future de l'humanisme et de l'individualisme moderne.
Troisième révolution : l'eschatologie chrétienne et plus largement biblique, qui induit une rébellion contre la normalité du mal, une lutte qu'elle voit éternelle contre lui, une distinction vertu/pêchés que ne mettait pas en avant les cultes païens. L'individu et la société doivent désormais tendre vers leur transformation, leur amélioration. C'est la création d'un temps historique pour l'humain. L'apparition du progrès (et des premières oppositions millénaristes-révolutionnaires contre réformistes)
Avant-dernière étape, moins connue, la révolution papale grégorienne (et post grégorienne, Grégoire VII ayant politiquement et conjoncturellement plutôt échoué, mais ses idées lui survivront) au XIes et XIIes siècles. Revenant sur l'apathie contemplatrice dérivée de l'augustinisme politique, le grégorisme réintroduit l'Eglise dans le monde temporel. Eléments fondamentaux de la parousie papale? La reprise en main d'une organisation religieuse passablement décatie et corrompue, la création des universités (au premier rang desquelles Bologne, Paris et Oxford), la formation de prêtres, la lutte contre le pouvoir temporel et enfin l'idée, nouvelle, selon laquelle l'homme peut se racheter de ses mauvaises actions par des bonnes (qui aboutira à la cration du purgatoire). Son ampleur préfigurera celle du luthérianisme quatre siècles plus tard.
Enfin dernière révolution, plus évidente, l'invention du libéralisme intellectuel, politique et économique. Les sociétés occidentales deviendront pluralistes, cherchant là le meilleur moyen d'organisation possible et permettant de ce fait le progrès des idées, des sciences et des arts.
Voilà, rapidement résumé, ce qui constitue l'occident aux yeux de Nemo. De ces caractéristiques, l'auteur tire une double conclusion. La première, la formule élaborée par l'occident, désormais universalisée, ne peut pas être remise en cause, car elle a constitué un saut évolutionnaire réel et complet pour l'espèce humaine - au niveau scientifique comme au niveau sociétal. La transformation est trop forte pour être effaçable ou oubliable. La seconde, c'est que les pays qui ont partagé ces cinq révolutions (l'Europe de l'ouest, la scandinavie, le monde germanique, les îles britanniques, et leurs dérivés américain, canadien, australien et néo-zélandais) forment une civilisation à part entière - avec plus de points communs que de différences - ; ils doivent reconnaître cette identité et les différences qu'elle entraîne avec le monde proche et lointain, et fonder une confédération occidentale. Là je trouve le propos plus conjoncturel et moins convaincant...
En conclusion, un livre qui ne s'interroge pas sur le "pourquoi" (pour cela voir Cosandey, Diamond ou Baechler) mais sur le "quoi". Les critères choisis me paraissent pertinents, mais la brieveté regrettable de l'ouvrage, malgré son appareil critique consistant, empêche une pleine adhésion. Aux partisans d'un Occident défini par son positionnement géographique, ses ethnies, ses croyances, Nemo oppose un Occident de la Raison, un Occident des idées, issu du long mouvement des sociétés. N'est-ce pas trop déconnecté de l'économie? de la géographie? de l'histoire? de la sociologie? Si l'on reprend Cosandey (une lecture croisée aurait pu être envisagée si Nemo avait été plus ambitieux), les erreurs traditionnelles dans l'analyse des raisons de la spécificité européenne sont les lectures religieuse, ethnique, culturelle, climatique et contingente. Nemo voit dans la religion, la culture et même le hasard des facteurs d'explication. En fait, les deux auteurs se situent à deux degrés différents : Cosandey cherche l'origine absolue, scientifiquement démontrable, du développement plus important connu par l'Europe. Nemo ne cherche qu'à rendre compte de ce qu'est, pour lui, l'occident. Les raisons de ce développement occidental, Nemo n'a pas cherché à les dégager. En tout cas il a vu les grandes lignes de convergence entre les sociétés européennes et leurs héritières. Se pose alors la question de la légitimité de la notion d'occident. En avons nous besoin? Pourquoi? Ceux qui liront Nemo en devineront bien les raisons dans les notes de bas de page... et selon leurs convictions, suivront l'auteur ou le négligeront.
Une petite introduction à la question de l'occident et du miracle européen, qui pose néanmoins des jalons pour un approfondissement ultérieur.
Selon Nemo, les nations d'Europe occidentale ont connu cinq grandes révolutions, cinq étapes qui ont marqué leur évolution et ont fait d'elles les composantes d'une entité spécifique au regard des autres régions du monde. Ce sont ces cinq apports qui permirent le "miracle" qui transforma la péninsule du vaste continent asiatique en modèle dominant la planète et la modelant au gré de ses conquêtes.
Très classiquement, Nemo d'abord met en exergue la Grèce. Ses inventions, la Cité (il reprend ici les caractéristiques dévoilées par JP Vernant, à savoir : souveraineté collective, espace public de débat, rôle de la raison, égalité, religion civique, invention du politique), la science, l'école et l'égalité - isonomie - des citoyens transforment violemment le rapport de l'homme au monde. De vertical, celui-ci devient horizontal.
Ensuite, l'apport du droit romain, qui invente la stricte délimitation des patrimoines et des individus, constitue une deuxième révolution. La Cité était un gouvernement des égaux, indifférenciés. Rome distingue les individus et formalise l'apparition de l'ego, source future de l'humanisme et de l'individualisme moderne.
Troisième révolution : l'eschatologie chrétienne et plus largement biblique, qui induit une rébellion contre la normalité du mal, une lutte qu'elle voit éternelle contre lui, une distinction vertu/pêchés que ne mettait pas en avant les cultes païens. L'individu et la société doivent désormais tendre vers leur transformation, leur amélioration. C'est la création d'un temps historique pour l'humain. L'apparition du progrès (et des premières oppositions millénaristes-révolutionnaires contre réformistes)
Avant-dernière étape, moins connue, la révolution papale grégorienne (et post grégorienne, Grégoire VII ayant politiquement et conjoncturellement plutôt échoué, mais ses idées lui survivront) au XIes et XIIes siècles. Revenant sur l'apathie contemplatrice dérivée de l'augustinisme politique, le grégorisme réintroduit l'Eglise dans le monde temporel. Eléments fondamentaux de la parousie papale? La reprise en main d'une organisation religieuse passablement décatie et corrompue, la création des universités (au premier rang desquelles Bologne, Paris et Oxford), la formation de prêtres, la lutte contre le pouvoir temporel et enfin l'idée, nouvelle, selon laquelle l'homme peut se racheter de ses mauvaises actions par des bonnes (qui aboutira à la cration du purgatoire). Son ampleur préfigurera celle du luthérianisme quatre siècles plus tard.
Enfin dernière révolution, plus évidente, l'invention du libéralisme intellectuel, politique et économique. Les sociétés occidentales deviendront pluralistes, cherchant là le meilleur moyen d'organisation possible et permettant de ce fait le progrès des idées, des sciences et des arts.
Voilà, rapidement résumé, ce qui constitue l'occident aux yeux de Nemo. De ces caractéristiques, l'auteur tire une double conclusion. La première, la formule élaborée par l'occident, désormais universalisée, ne peut pas être remise en cause, car elle a constitué un saut évolutionnaire réel et complet pour l'espèce humaine - au niveau scientifique comme au niveau sociétal. La transformation est trop forte pour être effaçable ou oubliable. La seconde, c'est que les pays qui ont partagé ces cinq révolutions (l'Europe de l'ouest, la scandinavie, le monde germanique, les îles britanniques, et leurs dérivés américain, canadien, australien et néo-zélandais) forment une civilisation à part entière - avec plus de points communs que de différences - ; ils doivent reconnaître cette identité et les différences qu'elle entraîne avec le monde proche et lointain, et fonder une confédération occidentale. Là je trouve le propos plus conjoncturel et moins convaincant...
En conclusion, un livre qui ne s'interroge pas sur le "pourquoi" (pour cela voir Cosandey, Diamond ou Baechler) mais sur le "quoi". Les critères choisis me paraissent pertinents, mais la brieveté regrettable de l'ouvrage, malgré son appareil critique consistant, empêche une pleine adhésion. Aux partisans d'un Occident défini par son positionnement géographique, ses ethnies, ses croyances, Nemo oppose un Occident de la Raison, un Occident des idées, issu du long mouvement des sociétés. N'est-ce pas trop déconnecté de l'économie? de la géographie? de l'histoire? de la sociologie? Si l'on reprend Cosandey (une lecture croisée aurait pu être envisagée si Nemo avait été plus ambitieux), les erreurs traditionnelles dans l'analyse des raisons de la spécificité européenne sont les lectures religieuse, ethnique, culturelle, climatique et contingente. Nemo voit dans la religion, la culture et même le hasard des facteurs d'explication. En fait, les deux auteurs se situent à deux degrés différents : Cosandey cherche l'origine absolue, scientifiquement démontrable, du développement plus important connu par l'Europe. Nemo ne cherche qu'à rendre compte de ce qu'est, pour lui, l'occident. Les raisons de ce développement occidental, Nemo n'a pas cherché à les dégager. En tout cas il a vu les grandes lignes de convergence entre les sociétés européennes et leurs héritières. Se pose alors la question de la légitimité de la notion d'occident. En avons nous besoin? Pourquoi? Ceux qui liront Nemo en devineront bien les raisons dans les notes de bas de page... et selon leurs convictions, suivront l'auteur ou le négligeront.
Une petite introduction à la question de l'occident et du miracle européen, qui pose néanmoins des jalons pour un approfondissement ultérieur.