28 novembre 2007
3
28
/11
/novembre
/2007
22:16
Je vais tenter quelque chose que je n'ai pas osé faire pour Guerre et paix de Tolstoï, lu et non chroniqué, essayer de parler d'un chef d'oeuvre de la littérature. C'est un exercice difficile, car il a fait l'objet de nombreuses recensions, de thèses, bien plus abouties que ma petite bafouille rédigée hâtivement, la seule chose dont je sois capable. Mais enfin, j'essaie. Après tout...

Plongée dans la psychologie tourmentée d'un criminel, Crime et châtiment est un de ces romans que l'on ne présente plus. Un classique. Un monument. Un de ceux qu'il faut avoir lu une fois dans sa vie. Le chef d'oeuvre de Fédor Dostoïevski, un des maîtres russes du XIXe siècle. L'histoire est simple : Rodion Raskolnikov, un étudiant, élabore une théorie de la justification du crime, seul, dans sa misérable chambre de Saint-Petersbourg. Voit dans l'humanité deux types d'êtres : les moutons et les bergers. Les hommes et les surhommes. Ceux qui vivent et ceux qui disposent de la vie des autres. Les génies n'ont ils pas construit le monde par le sang et le feu? Napoléon, révéré après sa mort, n'était il pas un criminel? De Toulon à Arcole, d'Austerlitz à Borodoino, son élévation au-dessus de la masse est une longue litanie de morts et de souffrances...
De cette nietzschéenne réflexion, Raskolnikov tire une conclusion : que vaut le meurtre d'une méchante usurière, bête, laide, inutile, si il permet le salut financier de son assassin et de son entourage? Ne faut-il pas à un moment, s'extraire de la masse des hommes de faible volonté et changer le monde, par le crime si c'est nécessaire? Sa pensée brouillée par cette obsession, Raskolnikov ne peut résister à la conclusion logique qu'il en tire.
Il ira assassiner la vieille usurière et sa soeur, qui l'avait surpris. En commettant ce crime, Raskolnikov va plonger. Se tuer. Détruire l'être qu'il était. Ce qu'il a commis, malgré ses belles constructions rationnelles justificatrices, il va finir par le payer. Déjà, il assassine l'innocente soeur (dans toutes les acceptations du terme "innocente"), premier écueil. Ensuite, il s'évanouit lors d'une visite de routine au commissariat, malade, alors même que les policiers parlaient de ce double meurtre. Eveillant les soupçons du subtil juge d'instruction Porphyre, Raskolnikov emprunte une voie qu'on devine sans retour. Il oscille ainsi entre l'abattement, le besoin de se dénoncer et l'euphorie, le désir de s'échapper, entre les conséquences morales et physiques (il est malade tout le livre) de son acte et la nécessité d'assumer la portée intellectuelle et logique de son raisonnement. Car s'il ne supporte pas le fait d'avoir tué, c'est alors qu'il n'est pas un surhomme, comme il finit par le deviner aux deux tiers du livre. Napoléon eût-il hésité? S'en serait-il voulu? D'ailleurs, Dostoievski qui introduit la réflexion et la philosophie par l'intermédiaire des dialogues, de la pensée à voix haute, livre un des plus beaux interrogatoires de la littérature lorsque peu à peu Raskolnikov dévoile son jeu au juge Porphyre et finit presque par se dénoncer. Un des grands morceaux du livre.
Dostoievski
La contradiction que rencontre Raskolnikov entre une identité chrétienne - tu ne tueras point - et cette philosophie de la puissance trouve finalement sa résolution par l'échec de cette dernière. "Ecraser un pou" en assassinant un de ces "moutons bêlants" n'est pas sans conséquence. Comme le montre le juge d'instruction, la solution choisie par Raskolnikov est sans issue. Et le roman n'est pas sans écho pour un homme du XXIe siècle, qui sait à quoi la philosophie du surhomme a pu aboutir historiquement. Raskolnikov finira par accepter son châtiment et, dans un épilogue peut-être superflu, y trouver sa rédemption. Cependant, Crime et Châtiment, ce n'est pas qu'un crime, un roman policier inversé (puisqu'on connaît le crime, l'assassin et ses motivations dès le début). C'est aussi la peinture sordide d'un Saint-Pétersbourg des ivrognes et des miséreux. La famille Marmeladov, avec son alcoolique, sa prostituée, ses enfants misérables, ne déparerait pas dans Zola. Le pathétique est prégnant et donne lieu parfois à des scènes particulièrement marquantes : terrible mort du fonctionnaire Marmeladov puis de son épouse...
Dans le roman, on devine aussi une critique du socialisme naissant, caricaturé violemment par le personnage de Lebtzniakov, un idiot, semi-cultivé qui gobe tout ce qu'il lit et applique bêtement, jusqu'à la contradiction, les principes qu'il croit avoir saisi (sa défense, mais peut-on parler d'une défense, de la prostituée Sonia, est comique).
A toutes les idéologies nées à l'ouest (socialisme, matérialisme, philosophie préfigurant Nietzche), Dostoievski oppose l'idée de la rédemption et le mysticisme. Très chrétien tout ça.
Même si j'ai eu des difficultés à entrer dans le sujet (je n'avais pas forcément l'esprit à lire ce genre de choses), j'ai trouvé les cent premières pages et les deux cents dernières admirables : Dostoievski opère par pics d'intensité, on sent là le feuilletoniste, et fait monter la tension progressivement à plusieurs reprises. Parfois la machine tourne cependant un peu à vide... notamment entre la 150e et la 300e page. Mais la suite vaut vraiment la peine. Je ne me suis aps accroché pour rien!
Je me rends compte, malgré mes efforts, qu'il m'est impossible de résumer en quelques lignes la puissance de ce livre : un seul conseil, le lire.

Plongée dans la psychologie tourmentée d'un criminel, Crime et châtiment est un de ces romans que l'on ne présente plus. Un classique. Un monument. Un de ceux qu'il faut avoir lu une fois dans sa vie. Le chef d'oeuvre de Fédor Dostoïevski, un des maîtres russes du XIXe siècle. L'histoire est simple : Rodion Raskolnikov, un étudiant, élabore une théorie de la justification du crime, seul, dans sa misérable chambre de Saint-Petersbourg. Voit dans l'humanité deux types d'êtres : les moutons et les bergers. Les hommes et les surhommes. Ceux qui vivent et ceux qui disposent de la vie des autres. Les génies n'ont ils pas construit le monde par le sang et le feu? Napoléon, révéré après sa mort, n'était il pas un criminel? De Toulon à Arcole, d'Austerlitz à Borodoino, son élévation au-dessus de la masse est une longue litanie de morts et de souffrances...
De cette nietzschéenne réflexion, Raskolnikov tire une conclusion : que vaut le meurtre d'une méchante usurière, bête, laide, inutile, si il permet le salut financier de son assassin et de son entourage? Ne faut-il pas à un moment, s'extraire de la masse des hommes de faible volonté et changer le monde, par le crime si c'est nécessaire? Sa pensée brouillée par cette obsession, Raskolnikov ne peut résister à la conclusion logique qu'il en tire.
Il ira assassiner la vieille usurière et sa soeur, qui l'avait surpris. En commettant ce crime, Raskolnikov va plonger. Se tuer. Détruire l'être qu'il était. Ce qu'il a commis, malgré ses belles constructions rationnelles justificatrices, il va finir par le payer. Déjà, il assassine l'innocente soeur (dans toutes les acceptations du terme "innocente"), premier écueil. Ensuite, il s'évanouit lors d'une visite de routine au commissariat, malade, alors même que les policiers parlaient de ce double meurtre. Eveillant les soupçons du subtil juge d'instruction Porphyre, Raskolnikov emprunte une voie qu'on devine sans retour. Il oscille ainsi entre l'abattement, le besoin de se dénoncer et l'euphorie, le désir de s'échapper, entre les conséquences morales et physiques (il est malade tout le livre) de son acte et la nécessité d'assumer la portée intellectuelle et logique de son raisonnement. Car s'il ne supporte pas le fait d'avoir tué, c'est alors qu'il n'est pas un surhomme, comme il finit par le deviner aux deux tiers du livre. Napoléon eût-il hésité? S'en serait-il voulu? D'ailleurs, Dostoievski qui introduit la réflexion et la philosophie par l'intermédiaire des dialogues, de la pensée à voix haute, livre un des plus beaux interrogatoires de la littérature lorsque peu à peu Raskolnikov dévoile son jeu au juge Porphyre et finit presque par se dénoncer. Un des grands morceaux du livre.
La contradiction que rencontre Raskolnikov entre une identité chrétienne - tu ne tueras point - et cette philosophie de la puissance trouve finalement sa résolution par l'échec de cette dernière. "Ecraser un pou" en assassinant un de ces "moutons bêlants" n'est pas sans conséquence. Comme le montre le juge d'instruction, la solution choisie par Raskolnikov est sans issue. Et le roman n'est pas sans écho pour un homme du XXIe siècle, qui sait à quoi la philosophie du surhomme a pu aboutir historiquement. Raskolnikov finira par accepter son châtiment et, dans un épilogue peut-être superflu, y trouver sa rédemption. Cependant, Crime et Châtiment, ce n'est pas qu'un crime, un roman policier inversé (puisqu'on connaît le crime, l'assassin et ses motivations dès le début). C'est aussi la peinture sordide d'un Saint-Pétersbourg des ivrognes et des miséreux. La famille Marmeladov, avec son alcoolique, sa prostituée, ses enfants misérables, ne déparerait pas dans Zola. Le pathétique est prégnant et donne lieu parfois à des scènes particulièrement marquantes : terrible mort du fonctionnaire Marmeladov puis de son épouse...
Dans le roman, on devine aussi une critique du socialisme naissant, caricaturé violemment par le personnage de Lebtzniakov, un idiot, semi-cultivé qui gobe tout ce qu'il lit et applique bêtement, jusqu'à la contradiction, les principes qu'il croit avoir saisi (sa défense, mais peut-on parler d'une défense, de la prostituée Sonia, est comique).
A toutes les idéologies nées à l'ouest (socialisme, matérialisme, philosophie préfigurant Nietzche), Dostoievski oppose l'idée de la rédemption et le mysticisme. Très chrétien tout ça.
Même si j'ai eu des difficultés à entrer dans le sujet (je n'avais pas forcément l'esprit à lire ce genre de choses), j'ai trouvé les cent premières pages et les deux cents dernières admirables : Dostoievski opère par pics d'intensité, on sent là le feuilletoniste, et fait monter la tension progressivement à plusieurs reprises. Parfois la machine tourne cependant un peu à vide... notamment entre la 150e et la 300e page. Mais la suite vaut vraiment la peine. Je ne me suis aps accroché pour rien!
Je me rends compte, malgré mes efforts, qu'il m'est impossible de résumer en quelques lignes la puissance de ce livre : un seul conseil, le lire.