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Biblio-Infinie

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  • : Un blog destiné à faire partager mes lectures. Plongée dans une bibliothèque infinie... Romans, essais, livres d'histoire, économie, philosophie,...
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C'est quoi ce blog?

Biblio-infinie, un micro blog sans prétention aucune (comme le titre l'indique si bien)... et où je commenterai sans compromission ce que je lis! Fonctionne en courant alternatif selon mes disponibilités (je ne commente en fait que quelques lectures, choisies selon des critères complètement aléatoires et variables).

Littérature, histoire, essais, bref des recensions au fil des lectures... Peu de place cependant au buzz  et aux sorties à la mode. Il existe suffisamment de promoteurs dans les médias pour que je n'agglutine pas ma voix au concert des épiciers.

Place aux avis d'un citoyen aspirant "honnête homme" (c'est moi!), pur produit de notre beau système universitaire français qui fonctionne si bien, que le monde entier nous envie, qui forme tant de grands esprits et tout, et tout, et tout...

Bonne lecture!

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12 août 2009 3 12 /08 /août /2009 18:36
Depuis un moment, ce blog m'agaçait par sa forme trop rigide... je déménage sous d'autres cieux : http://brumes.wordpress.com/


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19 janvier 2009 1 19 /01 /janvier /2009 20:44

   

    La biographie est un art délicat. Et la biographie littéraire un art de l’impossible. L’exposé de la vie d’un dirigeant politique, d’un militaire ou d’un scientifique recèle déjà de multiples chausse-trappes : les sources, la qualité des témoignages, la subjectivité du regard biographique, ses buts,... Les biographes estiment généralement  pouvoir échapper à l'hagiographie ou au portrait à charge, mais mon expérience de lecteur prouve que l’historien le plus expérimenté parvient rarement à s'en départir réellement. Et s’il évite ces écueils, le plus souvent il conclura son récit par un jugement moral ou historique. Le travail historique le mieux mené pourra aboutir à une position équilibrée sur le bilan et les caractéristiques de son « personnage ». Mais il sera difficile de trouver alors l’équilibre entre le récit de l’individu et celui de la collectivité dans laquelle il s’insère. La voie entre une contextualisation efficace et un hors-sujet partiel est si étroite qu’elle en devient impraticable. Il sera malaisé d’éviter le portrait psychologique tout en donnant une profondeur suffisante aux traits personnels du sujet. Bref, toute biographie est un échec. Et il n’est d’échec plus inévitable que d’essayer de retracer la vie d’un écrivain.  Le chercheur doit alors composer son travail en conciliant la vie et l’œuvre – deux massifs qu’il faut aborder l’un par l’histoire, l’autre par les lettres – ,  l’existence publique et l’existence privée, les écrits publiés et les écrits reniés. Il se doit aussi d’explorer l’intégralité des correspondances, de déterminer la nature de chaque relation, de comprendre les motivations de l’écrivain et la réception de ses écrits, de démêler les contradictions, d’analyser les prises de position à la lumière de leur contexte et d’éclaircir la nécessaire part obscure que recèle tout individu. Sans un minimum d’honnêteté et de modestie, non seulement le biographe rate son but, mais finit par se mentir et par la même occasion, trompe le lecteur.


 



    Cette modestie et cette pleine conscience de l’échec nécessaire du travail biographique ne doivent pas empêcher l’aspirant biographe de se lancer dans l’entreprise. Car l’échec ne signifie pas la faillite. Et du travail fourni pourront toujours surgir des faits, des idées et des conclusions justifiant l'énergie et l'ardeur déployées. Bernard Crick, récemment décédé, s’est de cette manière attaqué, une vie durant, à l’un des plus insondables écrivains du 20e siècle, George Orwell. La figure mythique du romancier anti-totalitaire de 1984, du satiriste génial de La ferme des animaux, a été déformée au fil de sa réception. La perception générale de l’écrivain, et surtout le sens de l’œuvre, ont été altérés. Bernard Crick, avec une honnêteté louable et une grande détermination, a tracé un portrait très intéressant d’Orwell.


    Comme tous les biographes littéraires, il s’est trouvé confronté à plusieurs dilemmes, deux assez généraux et un plus lié à son sujet : la place qu’il convient de laisser à l’œuvre dans le récit de la vie, sachant que les deux sont étroitement imbriqués ; le moyen de traiter des zones d’ombre, de cette matière noire qui constitue une partie non négligeable de la vie d’un homme ; et concernant spécifiquement Orwell, le moyen de cerner un auteur qui mélangea fiction et récit autobiographique une bonne partie de sa carrière ; qui, pour tout journal ne tint que des comptes-rendus superficiels et prosaïques de son existence ; qui évita également de communiquer à ses proches de quelconques propos introspectifs.


    Bernard Crick opte pour une position défendue avec soin dans son introduction, et qu’il tient avec une grande maîtrise tout au long de son travail. L’œuvre est un peu délaissée au profit de la vie, privée et publique. Au vu des positions du biographe, ce choix de restreindre la place de l’œuvre est compréhensible quoique regrettable pour le lecteur français.  Le récit de vie doit éclairer une vie de récits. Ce n'est pas ici une exégèse de l'oeuvre.  D'autant plus que le lecteur britannique, à qui s’adresse d’abord Crick, connaît bien mieux l’œuvre d’Orwell que le lecteur français. De ce côté de la Manche, les traductions manquent parfois et la diffusion s’avère, hors 1984 et Animal Farm insuffisante : une partie du lectorat francophone pourra être un peu déçu, car il lui manque une partie de l’œuvre. Le lecteur peu au fait de la vie intellectuelle anglaise des années 30 et 40 regrettera à certains moments que l’auteur de cette somme ne se rende pas plus accessible. Mais le public anglophone cultivé n’a pas les mêmes lacunes culturelles : EM. Forster, TS. Eliot, Christopher Isherwood, Kypling, Maugham sont des références aussi connues par le public anglais que Gide, Camus, Aron et Mauriac le sont pour le public français.



    Avec une certaine honnêteté, Crick renonce à prendre position lorsque les sources manquent, ou lorsqu’elles entrent en contradiction. Attaché aux faits, optique finalement assez britannique, toute prosaïque et pragmatique, Crick ne cherche pas à remplir les trous par ses propres prises de position, ou par d'audacieuses généralisations théoriques. Par contre, il montre une grande ardeur à trouver la matière permettant de combler ces lacunes. Et si cette recherche intensive ne livre pas d’éléments probants, alors il l’admet et le dit. Cette approche est poussée à un tel degré que cette seconde édition ne modifie pas, sauf erreur de frappe, la première édition,  elle la complète et la corrige par des astérisques et un appendice. Crick pointe donc ses propres erreurs et imprécisions avec une transparence méritoire. Et comme le sujet Orwell était bien peu prolixe au sujet de ses turpitudes, tout un espace, celui de la vie intérieure d’Orwell, reste vide. Le portrait qu’en dresse Crick tient plus du contour que de l’étude. Mais à aucun moment il ne bascule dans l’esquisse. Tout ce qui peut être détaillé l’est. Cela donne à son livre un aspect aride et moins vivant qu’il aurait pu l’être. On lui reprocha  d'ailleurs d’en rester à la surface, aux faits.


Sir Bernard Crick, décédé le 19 décembre dernier


    Mais Crick demeure bien dans la droite ligne d’Orwell, de la décence, du common sense et de l’honnêteté intellectuelle : les faits plus que la théorie. L’intériorité d’Orwell reste un territoire inatteignable sans imagination et psychologisme. Et ces deux traits qualifient un travail romanesque, non un travail historique. Le lecteur reste donc en partie extérieur à l'homme Orwell. Le livre pourrait en perdre de l’intérêt, mais bien au contraire, il stimule l'intelligence du lecteur qui interprétera comme il l’estime juste les éléments portés à sa connaissance. Pour Crick, la vie ce sont les actes, et sans témoignage probant, prendre position est malhonnête. Crick est l’exigeant lecteur des témoignages de chacun et il ne conclut qu’une fois toutes les possibilités pesées, et quand il le faut, écartées. Son examen est critique : sa posture de composition n’ignore ni les défauts d’Orwell, ni ses incohérences et encore moins ses erreurs. Et quand il essaie de déterminer autant que possible la part d’autobiographie dans les romans ou les récits d’Orwell, son argumentation, détaillée, circonspecte, emporte largement l’approbation du lecteur. Ce travail magistral, malgré son désintérêt partiel pour l’œuvre, est une véritable référence dans le domaine de la biographie littéraire. Il a échoué parce que le portrait total d’un écrivain est irréalisable. Sartre lui-même l'avait expérimenté à ses dépens avec Flaubert. L'échec de Bernard Crick est glorieux, car il trace une voie stimulante dans la compréhension d’Orwell, de ce qu’il fut, de ce qu’il représenta et de ce qu’il affirma. Au lecteur averti et informé de trancher.



 

    George Orwell, né Eric Blair, issu des échelons inférieurs de la classe moyenne anglaise du début du siècle dernier, a connu une vie courte mais aventureuse. Issu d’Eton, antichambre de l’élite politique, administrative et culturelle anglaise, il emprunta dès sa sortie des chemins de traverse. Policier en Birmanie, marginal à son retour en Europe, combattant de la guerre d’Espagne peu à peu retranché dans des positions socialistes ET anticommunistes, contempteur de l’esprit de parti et de l’aveuglement de la classe intellectuelle, il est un type quasi sui generis d’écrivain. Principalement porté sur l’écriture politique, son œuvre rentre difficilement dans les grandes catégories de la partition romanesque : autofiction bien avant la lettre, satire, dystopie,…


  Comme certains de ses contemporains, Crick le place au côté de Swift dans la grande tradition de la critique politique de langue anglaise. Mais il ne s’arrête pas à ce simple constat, et le resitue aussi dans son environnement intellectuel immédiat, composé de socialistes anticommunistes, d’anarchistes et de progressistes. Crick privilégie l’aspect politique, central dans l’œuvre. Orwell se révéla à ce sujet souvent clairvoyant et visionnaire. Mais Crick ne passe pas sous silence ses prophéties hasardeuses du début des années 40. Avec succès, il démontre à quel point la lecture de 1984 et de La ferme des animaux ne peut se limiter à l’approche simplement anticommuniste à laquelle certains tentèrent de le confiner. Ces romans ne parlent pas seulement du soviétisme, même s'ils se révélèrent pertinents pour décrire l'URSS. Ils abordent aussi le thème de la trahison des élites intellectuelles (les cochons de la ferme) et celui de l’écrasement des valeurs simples de l’homme commun par la mise en place de mécanismes totalitaires. Mécanismes dont ne sont pas exempts nos société démocratiques contemporaines. Crick parvient, par des références aux essais et aux prises de position d’Orwell, à en enrichir la lecture. La connaissance de l’homme, de ses choix, de ses actes, de son comportement sont éclairants. Orwell est rendu plus humain : son immense lucidité en un temps d’aveuglement intellectuel généralisé n’en est que plus estimable. Et cette biographie appelle le lecteur à se plonger sans réticence dans la pensée d’un des écrivains les plus marquants de notre passé proche.

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4 janvier 2009 7 04 /01 /janvier /2009 00:07
Parce que mon assiduité ici fait défaut, parce que c'est le temps des résolutions, parce que 2009 finit par un neuf, et pour plein d'autres raisons absurdes ou sérieuses, j''ai quand même décidé de revenir, pour rédiger mon petit palmarès 2008...
J'ai la mauvaise manie de noter (avec des étoiles en plus, comme dans un vulgaire guide de boustifaille) les bouquins que je lis, mais ça a l'avantage, à la fin d'une année, de permettre, en un rapide coup d'oeil de retrouver les bonnes et les mauvaises surprises...

Ce que j'ai aimé particulièrement

Romans

Le coeur est un chasseur solitaire de Carson McCullers : le récit de la rencontre et de la coexistence de quatre personnages solitaires au fin fond d'une ville du vieux sud. Quelques espoirs, puis l'inexorable enlisement. Incapables de se trouver, de se comprendre, de communiquer. L'idéalisme et les espoirs se fracassant sur la réalité du monde. La parenthèse vite refermée d'une vie libre et humaine... la fuite ou l'empâtement comme seules perspectives. Pour une jeune fille de 21 ans, je trouve l'ensemble merveilleux d'équilibre, de maturité, de perspicacité et de poésie.


Carson McCullers

Le guépard de Tomasi di Lampedusa : l'unique roman d'un aristocrate sicilien qui jette sur l'histoire d'une famille et de sa déchéance, un regard ironique et pessimiste. Une langue splendide, très adaptée à la luxuriance sicilienne sert habilement les huit scènes du roman. Il faut que tout change pour que rien ne change...
Et après avoir visionné le film de Visconti tiré du livre, je maintiens que le roman est d'une rare profondeur pour ses 300 et quelques pages.

U.S.A. de John Dos Passos : je n'ai pas encore lu le 3e volet de la trilogie. L'histoire de 30 années d'Amérique, vu par des dizaines de personnages. Leurs espoirs de changer le monde ou de trouver leur place (Le 42e parallèle), la guerre de 17-18 et l'inexorable consentement au monde (1919) puis le délire matérialiste des roaring twenties (La Grosse Galette). Malgré quelques répétitions stylistiques (dues aux choix "d'avant-garde" pour les passages dits "Oeil Caméra" - sans ponctuation, on a fait mieux depuis - et "Actualités" - collage astucieux de grands titres de presse, sans hiérarchie - ), et un certain formalisme, Dos Passos parvient à raconter l'Amérique. Les voix sont multiples. Le roman expérimental, choral, mais lisible. Et par dessus tout, ces mini biographies des "hommes illustres" qui, en alignant les faits, les contradictions et les péripéties de la vie d'une trentaine d'américains parviennent à brosser des tableaux d'une grande intensité (Wilson, Morgan, T.Roosevelt sont extraordinaires, le soldat inconnu aussi). Une grande réussite à qui il manque peut-être un peu d'âme.


Histoire

D'Alexandre à Actium de Peter Green : j'avais fait une note sur ce blog. Pour résumer, l'histoire du monde hellénistique (et pas seulement l'histoire des batailles et des princes) vues par un historien de grande qualité : écriture soignée, sens de l'équilibre, recul et ironie comprise. De Pergame à Cynoscéphales, de Pydna à Séleucie, le récit de trois siècles d'histoire politique, économique, culturelle et intellectuelle. Passionnant et dense



URSS : Histoire du pouvoir 2 tomes de Rudolf Pikhoia : l'une des sorties les plus ignorées de l'année en histoire. Et c'est totalement injuste, notamment pour le premier tome. L'ancien directeur des archives russes plonge dans les entrailles des compte-rendus de politburo, praesidium et autres conseils des ministres de l'Union pour en tirer le récit de 45 ans d'après-guerre.


Alors que toutes les histoires laissent une petite place à Khrouchtchev et encore moins à Brejnev, Pikhoia commence lui son récit bien après les autres, en 1945. Il raconte l'élimination des dauphins de Staline (Kuznetsov, Voznessenski), la disgrâce de Joukov, la troïka de 53-56, l'exécution de Beria, Budapest, le pouvoir Krouchtchévien, son élimination, les réformes économiques de l'avant printemps 68, le raidissement de la nomenklatura, la Pologne, Gorbatchev, Eltsine, les tensions nationales, le déclin économique, etc... On peut difficilement faire plus complet en français sur les années 60 et 70. Quelques anecdotes donnent des couleurs à l'ensemble.
Dense, aride, hautement aride, mais un livre de référence sur l'après-Staline.



Sciences

La génétique des populations de Luca Cavalli-Sforza : le récit de toute une vie de recherche. D'où venons nous, quand sommes nous arrivés ici, qu'est-ce que "l'Eve africaine", comment les langues et les gènes mutent-ils, etc... Une passionnante histoire d'un champ de recherches par celui qui l'a - en partie - fondé. Vulgarisateur, il a cherché à rendre ses recherches accessibles au plus grand nombre (quitte à ne pas rentrer dans tous les détails), au principe que la science doit aller vers le commun. On regrettera uniquement les longues digressions pseudo-philosophiques de la fin qui n'apportent rien et qui dénotent surtout la naïveté de l'auteur dans ce qui dépasse son champ de compétences.

L'odyssée de l'évolution de Denis Buican : une bonne synthèse de l'histoire des théories évolutionnistes, bien présentée, bien écrite, sans trop de détails, mais avec suffisamment de précisions pour le lecteur néophyte.

Divers

Le XIXe siècle à travers les âges de Philippe Muray : incroyablement dense, l'ouvrage de Muray tend à relier le socialisme progressiste du XIXe et la religion en en montrant les connexions inattendues. Le progressisme rationaliste la main dans la main avec des croyances occultes et irrationnelles. Obscur parfois, le livre de Muray ne laisse pas indifférent. Et les fulgurances sur Flaubert, Zola méritent le détour. Tout comme certaines expressions que forge Muray sur un ton mi ironique mi pamphlétaire.


Philippe Muray


A lire à l'occasion

Les tragédies romaines de Shakespeare : Coriolan est horripilant, Titus Andronicus est un bain de sang quasi comique, mais Jules César est traversé par le sublime Brutus et la destinée de Marc Antoine se noue autour de Cléopâtre et devient instantanément un des mythes les plus évocateurs du monde antique ;

Lincoln de Stephen Oates : une bonne synthèse sur le président Lincoln, son ascension et son mandat marqué par la guerre de sécession ;

Sur l'histoire de K.Pomian : les enjeux de l'analyse historique par une série d'articles ;

La littérature nazie en Amérique de Roberto Bolano : une incroyable galerie de biographies personnages imaginaires ayant tous en commun la littérature, l'amérique et... le IIIe Reich ;

Esquisse d'une histoire universelle de Jean Baechler: dense et informé, un essai sur l'histoire humaine depuis les temps reculés ;

Weimar de Peter Gay : comment meurt une république, abandonnée, voire jamais soutenue par ses élites naturelles ;

La littérature à l'estomac de Pierre Jourde : parce qu'il démolit jouissivement Angot, Sollers et toute une littérature germano-narcissique ;

Cosa Nostra de John Dickie : la mafia sicilienne vue par un historien qui en ressort quelques moments clés : une tentative de plonger dans ce qui ne laisse en principe guère de sources historiques complètes et fiables... méritoire ;

Le jeune Staline de Simon Sebag Montefiore : même si la traduction et la construction du livre ne sont pas toujours à la hauteur, on pourra toujours louer le courage de Montefiore, plongé depuis plus de 15 ans dans la vie de Staline et auteur il y a quelques années de l'excellentissime A la cour du Tsar Rouge. Ici, une mise au point sur les années de jeunesse d'un ex-séminariste devenu gangster puis exilé sibérien, avant d'accéder au premiers cercles du pouvoir soviétique.

Des bibliothèques pleines de fantômes de Jacques Bonnet : l'amour des livres vu avec beaucoup d'ironie ou comment survivre quand on a la manie d'emplir ses bibliothèques ;

Péguy d'Arnauld Teyssier : une biographie informée à défaut d'être dense ;

Cortès de Christian Duverger : un portrait équilibré qui replace avec justesse Cortès dans le paysage méso-américain ;

Magellan de Zweig : la première circumnavigation avec le style ;

Histoire du royaume latin de Jérusalem de Josuah Prawer : immense mais fascinant, factuel mais tellement étendu ;



A ne surtout pas lire...


Le siècle d'Einstein de Laurent Lemire
Laurent Lemire n'est pas un scientifique. Ou en tout cas pas suffisamment pour aider son lecteur à appréhender la révolution einsteinienne en physique. Du coup, il fait diversion, multiplie les références idiotes et sans intérêt, se complait dans un namedropping absurde. Le style se veut alerte, il est abrupt ; Lemire multiplie les références, elles ne constituent qu'un épais bouillon de culture (au plus mauvais sens du terme) - il ne suffit pas de citer un nom pour expliquer - ; les connaissances scientifiques sont censées être maîtrisées, mais Lemire les évacue soigneusement au profit d'évocations sans intérêt du surréalisme et de l'art contemporain. Lemire voulait replacer Einstein dans l'effervescence intellectuelle de son temps, il ne fait que caricaturer une époque dans des semblants d'explications.
Et bien sûr, le mythique "Il n'est pas libre Max" en référence à Max Planck...
Le détritus suprême du journalisme de recopiage d'aujourd'hui.


En vrac de ce qu'il faut éviter, au-delà de l'étron d'or décerné à M. Lemire...

L'étrange voyage de Rudolf Hess, parce que deux sources ne font pas un bon bouquin ;

Jaurès de Jean-Pierre Rioux, une hagiographie sans recul ;

La puissance et la faiblesse de Robert Kagan, parce que son célèbre article "les américains viennent de Mars, les européens de vénus" suffisait ;

Ibsen de Jacques de Decker, qui ne parvient pas à aborder  réellement le contenu de l'oeuvre, restant au stade superficiel de la biographie, pièce par pièce, étape par étape. Il manque sa synthèse pour faire paradoxalement de son opuscule un livre trop long et trop superficiel ;

Moralement correct de Jean Sévillia, oeuvre de commande pour conservateurs en mal d'exécration ;

Goebbels de Lionel Richard, arrogant, jésuitique, pédant, auteur des mêmes dérives dont il taxe les autres historiens. Inutile malgré quelques ambitions de mise au point sur la vie du propagandiste du IIIe Reich. Etrange de voir Lionel Richard se battre contre une inexistante et improbable réhabilitation du boîteux.

Il y eut bien d'autres livres, mais je crois que ce sont ceux-là qui, en bien comme en mal, se sont distingués.

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7 octobre 2008 2 07 /10 /octobre /2008 00:15



On ne lit plus guère Péguy de nos jours. Son nom se perd dans les brumes d'ignorance qui ont recouvert les oeuvres de la plupart des grands écrivains de la période 1880-1914. Au plus, lorsqu'il est évoqué, parlera-t-on de Dreyfus, de Jaurès, de Jeanne d'Arc et de la Grande Guerre. Cette biographie bien documentée illustre fort bien d'ailleurs le gouffre qui sépare le normalien d'origine paysanne, à la prose mystique, de notre époque matérialiste et technicienne. En creux se dessinent les raisons d'une telle désaffection. Hors de l'Université - où Péguy est resté un sujet commode de recherche et d'analyse - que pourraient bien trouver les lecteurs d'aujourd'hui dans l'intransigeance et le mysticisme d'un mécontemporain de la Belle Epoque ? Et comme hier, à l'heure de la vénération satisfaite de notre civilisation et de notre ignorance, Péguy semble ne devoir toucher qu'une  infime partie du public cultivé.

L'oeuvre de Péguy, dense et profonde ne se laisse pas, d'ailleurs, apprivoiser au premier regard. Et il faut bien du talent , ou de l'inconscience, pour vouloir évoquer l'auteur de l'argent, sa vie, son oeuvre, son influence dans un même ouvrage.


Arnaud Teyssier parvient à remettre en perspective l'itinéraire de Péguy : des derniers jours de la république opportuniste à l'Union sacrée, en passant par son engagement majeur, l'innocence de Dreyfus, il retrace les écrits, les amitiés et les positions de l'écrivain, d'abord socialiste puis converti peu à peu à un christianisme mystique et personnel. Il s'agit là de rendre intelligible l'itinéraire avant tout solitaire de ce franc-tireur.


Teyssier retrace son refus du système, du professorat, des compromissions et des honneurs, la lutte quotidienne pour la survie de son entreprise indépendante (les cahiers de la quinzaine), loin de la société mondaine et des succès faciles (ceux d'Anatole France notamment), loin aussi des armées normalienne et socialiste auquel il fût d'abord tenté d'appartenir. Ostracisé par Lucien Herr, le bibliothécaire de l'Ecole Normale, écarté  par Jaurès, reclus dans son refus implacable de se soumettre à l'enrégimentement intellectuel, Péguy ne connaîtra guère le succès sa vie durant. Il faudra sa mort héroïque, la veille de l'offensive de la Marne, d'une balle allemande, pour qu'il devienne, par Barrès interposé, l'icône de la République et de la Nation.


Difficile d'accès, traversée par une recherche sans compromission de la vérité autour de quelques figures tutélaires (Jeanne d'Arc et le Christ sur le versant mystique, Richelieu et Robespierre sur le versant historique), l'œuvre de Péguy aurait cependant mérité des développements plus longs. Teyssier semble en effet vouloir contourner l'écueil que forment les textes de l'écrivain, en ne les abordant que trop superficiellement. Cette biographie, un peu courte, évacue aussi l'impact de l'écrivain sur le XXe siècle par une trop rapide conclusion. A la décharge de l'auteur du livre, Péguy reste difficilement accessible à l'historien, Teyssier le reconnaît lui-même, du fait de l'immensité de ses écrits et de la somme produite par ses exégètes. La modestie du projet éditorial (300 pages) et l'ampleur des éléments de contexte à livrer limitent considérablement les développements de fond et ont malheureusement contraint Teyssier à une approche très synthétique.
Ainsi, par souci pédagogique, il résume avec soin le contexte historique (opportunisme, boulangisme, affaire Dreyfus, socialisme, Barrès et Maurras, antagonisme franco-allemand), quitte parfois à oublier un peu son propre sujet. Après la lecture, il reste un étrange sentiment : la vie de Péguy est mieux connue, mais l'œuvre elle-même reste mystérieuse et incertaine.


Cependant, au vu de sa taille et de son ambition, ce livre constitue une introduction satisfaisante à Charles Péguy, dont les écrits, hors édition Pléiade, restent au demeurant difficilement accessibles.

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6 octobre 2008 1 06 /10 /octobre /2008 23:47

Mes lecteurs l'auront remarqué, je n'ai plus guère trouvé le temps de mettre à jour ce blog depuis quelques mois. Mes lectures s'accumulent (mes achats également, pour le plus grand malheur de mon portefeuille et le plus grand bonheur de la librairie locale) et je me rends compte que la formule choisie à la base n'était pas la bonne. Elle aurait nécessité plus d'investissement pour un résultat à peu près valable.

Plutôt que de rédiger des fiches de lecture, rares, longues à composer, nécessitant un minimum de recherche et de concentration, oscillant entre critique et résumé, je vais plutôt me couler dans un format plus en rapport avec mes capacités. Le propos sera plus resserré, plus critique également. Et si certains livres me paraissent le justifier, ils seront l'objet d'articles plus longs, dans la veine de ce que j'ai produit depuis maintenant plus de deux ans (au final très peu de choses)

L'an dernier, lors de la recension d'Europa de Romain Gary, j'avais promis déjà un format plus court, je vais donc tenter (une dernière fois) de m'y tenir.



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10 février 2008 7 10 /02 /février /2008 21:45
Comme mes visiteurs peuvent l'avoir remarqué, j'aborde rarement les rivages de la littérature immédiatement contemporaine. Les sorties y sont tellement nombreuses, et ma méconnaissance de ce qui se fait si abyssale, que je n'ose que rarement emprunter des chemins qui n'ont pas été consacrés par le temps qui passe. De peur, peut-être, d'être déçu, je me réfugie le plus souvent dans les valeurs sûres. Pour une fois, j'ai fait un écart à cette règle de conduite pas si insconsciente. Les Hauts de Moscou de Vassili Axionov, ont été publiés en français en septembre dernier, à l'occasion de la "rentrée littéraire". En général, j'abhorre ce genre de pseudo-évènements marketés, où après avoir savamment entretenus un vide total de nouvelles parutions durant de (deux?) longs mois, les éditeurs ensevelissent les tréteaux des librairies de dizaines, voire de centaines, de romans. La couverture originale de ce livre, a néanmoins su retenir mon attention. Une rapide lecture de la quatrième de couverture, puis celle des premières lignes m'ont convaincu : ce roman était susceptible de m'intéresser. Situé dans les derniers mois du pouvoir stalinien à Moscou, il promettait une vision picaresque de la vie de quelques nomenklaturistes, résidents de ces Hauts de Moscou, immense résidence réservée aux dignitaires du régime.


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Premier constat, si ce roman prend comme cadre une période historique (1952-53), il ne constitue pas, à proprement parler, un "roman historique". En effet, malgré l'apparition dans le récit des dirigeants soviétiques (Béria, Malenkov, Boulganine, et surtout Staline lui-même) et yougoslaves, les faits relatés ici sont de véracité incertaine.
Axionov mélange si bien le vrai du faux que je me suis surpris à aller chercher sur internet quels personnages de ce roman avaient existé. Ce jeu littéraire mêlant le plausible, l'irréel et le réel est ici très bien mené, l'irruption du narrateur, Axionov, avec d'autres noms, venant ajouter encore un peu de flou à l'ensemble en plein roman. La fin d'ailleurs laisse songeur sur ce qui était vrai, ce qui était mémorable, ce qui a été oublié et ce qui ne pourra l'être. Et c'est ce qui rend le roman déconcertant d'un prime abord pour celui qui connaît un peu la période. Une fois ce petit effet de surprise passé, le lecteur se retrouve plongé dans les affres de la vie de quelques privilégiés du régime. Avant d'aller plus loin, il s'agit de rappeler qu'Axionov est le fils de la romancière Evguénia Guinzburg, déportée au goulag en 1937. Sa vision, lui qui fut contraint de s'exiler hors d'URSS, déchu de sa citoyenneté soviétique, pourrait revêtir une gravité à la mesure des souffrances qui lui furent infligées, directement ou indirectement, par Staline et ses sbires. Mais Axionov n'est pas homme à dépeindre tragiquement cette période. Au contraire, il se livre ici à une reconstruction humoristique de ce temps. Elle n'empêche pas quelques réflexions acides quant au "Coryphée des Peuples" et aux temps de l'immédiat après-guerre. Mais celles-ci sont noyées dans un propos qui se veut léger, drôle et vivant. Bref tout l'inverse de la logorhée sinistre et mécanique dont se repaissaient les hiérarques de ce temps. Le lecteur suit donc l'épopée tragicomique d'un poète stalinien, Kirill Smeltchakov, de ses voisins, les Novotkanny (mari physicien nucléaire, femme égérie de Staline après l'avoir été - en mission spéciale - de Hitler), d'un contre-amiral ancien héros des années 30, d'une dresseuse de tigres et d'une bande de zazous amateurs de jazz et fils de la bonne société. L'aventure prend d'abord des tours nettement sentimentaux : la fille des Novotkanny, komsomole convaincue, se fiance avec le poète, mais se refuse en bonne vierge du communisme, de consommer physiquement son amour. L'irruption du contre-amiral Mokinakki, personnage viril et truculent, quoique énigmatique, viendra rapidement à bout des principes moraux de la jeune fille. S'engage alors un ménage à trois qui aurait bien peu d'intérêt si derrière ces personnages le Camarade Staline et le Président Tito ne profilaient leurs démentielles ambitions.

Le roman s'aventure alors dans de drôlatiques rebondissements autour d'un très peu hypothétique complot titiste. Le poète Smeltchakov, ami de beuverie - par téléphone interposé - de Staline, y affrontera son rival de coeur, par grandioses opérations secrètes interposées. Le tyran appararaît d'ailleurs bien comme ses biographes l'ont déteint, et chacun de ses phrases laisse une inquiétante impression de paranoïa incontrôlable. Le coup de téléphone qui mettera en relation Smeltchakov et Staline est d'ailleurs une des scènes les plus réussies du livre. Je m'en voudrais de révéler plus l'histoire du roman, ce qui déflorerait par trop son essence même - à savoir son scénario imprévisible. Y apparaît d'ailleurs, vers le mitan du livre, Untel Untelovich Untelovski, qui se révèle vite être Axionov lui-même, ou son émanation romanesque. Au-delà des péripéties scénaristiques particulièrement loufoques, j'ai trouvé un certain talent à Axionov : la capacité à envelopper son livre d'une multitudes de références qui répondent à la fois au reste de son oeuvre, à l'histoire de la littérature russe, à celle de l'Union Soviétique ou encore à la langue de bois stalinienne. Ici, en plein coeur d'un chapitre, passent rapidement dans le décor deux personnages d'Une saga moscovite, sans interagir avec les personnages de ce roman, mais renvoyant le lecteur aux autres ouvrages d'Axionov. Là, Béria, le chef de la puissante et terrifiante police politique, entouré de ses sbires, n'est plus qu'un personnage de légende et de pacotille à la fois, un mythe de papier ridicule et impuissant. Là encore, le lecteur de Dostoievski, Pouchkine ou Gogol verra des références aux grands classiques de la littérature russe. L'une des scènes finales fait clairement référence au Premier Cercle de Soljénitsyne par exemple et à ses scientifiques enfermés dans des prisons "de luxe" pour effectuer leurs recherches. Enfin, une relecture absurde de l'histoire verra la mort du tyran géorgien reprise sur le thème de ses propres obsessions finales, victime d'un complot auquel il était le seul à croire. Les hauts de Moscou sont un jeu littéraire et historique particulièrement riche. Je crains d'ailleurs de ne pas avoir saisi toutes les références du roman, et ce malgré les méritoires efforts de la traductrice d'accompagner les passages obscurs d'éclairantes observations. Je saluerai également son travail sur les jeux de mots : certains d'entre eux ont été à l'évidence retranscrits dans le texte français sans trop leur faire perdre de leur pertinence. Enfin, Axionov a réussi à développer différents registres de langue sans les rendre pesants ou artificiels : la jeune Glika se meut toujours légèrement, à peine, à peine, Untelovski parle un langage franc de fils de déporté, Smeltchakov se perd dans des images poétiques et dans le double-langage stalinien. L'épopée en vers du poète, qui traite de Thésée et du Minotaure, ses propos sur la cité néo-platonicienne sont d'ailleurs de claires et inconscientes remises en cause du stalinisme, sous un vernis dialectique de bolchevisme exalté qui eut pu faire passer Jdanov pour un révisionniste...

Néanmoins, malgré d'évidentes qualités de forme et de fond, je ne suis pas entré complètement dans ce roman. Peut-être n'était-ce pas le bon moment pour le lire. Peut-être pas les bonnes circonstances. Un je-ne-sais-quoi d'artificialité vaine se dégage de la lecture. J'admire la capacité d'Axionov, au vu de son passé, d'aborder avec tant de légèreté une époque qui ne le fut à aucun moment. Je reconnais que le jeu est bien mené, d'une plume alerte, riche et légère. Que les pesanteurs staliniennes y sont ridiculisées, que les monstres terrifiants de ce temps ne sont plus aujourd'hui que des tigres de papier  - expression maoïste que semble porter la dresseuse de fauves dans la dernière scène -, que les obsessions et les folies d'un temps déraisonnables peuvent paraître préférables à notre temps d'incertitude. Et pourtant, un étrange arrière-goût d'irréalité me laisserait plutôt l'impression de la vacuité. A quoi finalement sert ce roman? Peut-être ne suis-je tout simplement pas à même de partager l'approche d'un homme exilé de 75 ans, dont la mère fut déportée au goulag, et qui est encore capable, après toutes ces vicissitudes, de jeter un regard amusé et acide, loufoque et nostalgique sur une telle période. Il serait dommage néanmoins de ne pas vous forger votre propre avis sur ce roman. L'entreprise est méritoire, le résultat est plutôt convaincant, et peut-être comprendrez-vous, ce que je n'ai pas su faire, la dernière scène et cette énigmatique "Nouvelle Phase". Parce que je l'ai aimé avec réserves, je serais presque enclin à vous conseiller ce roman plus chaudement encore - puissiez-vous éclairer ma modeste lanterne après l'avoir dévoré...


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4 février 2008 1 04 /02 /février /2008 20:00
Certains livres prennent peu de temps à lire. Soit par leur taille, soit par l'avidité que le lecteur déploie pour en venir à bout. D'autres sont des livres-monde, d'immenses monuments dont même le plus passionné des lecteurs mettra plusieurs semaines pour en venir à bout. C'est le cas du livre du jour. Je connais peu d'ouvrages qui m'auront demandé un tel effort, soutenu, alors même qu'ils me passionnaient. D'Alexandre à Actium, de l'historien britannique Peter Green, est un défi, une gageure. Comment parvenir à résumer trois siècles d'histoire, politique, militaire, diplomatique, économique, culturelle, scientifique, artistique, littéraire en 700 pages bien tassées? Le livre débute avec la mort d'Alexandre à Babylone et s'achève lors du triomphe d'Octavien, futur Auguste, sur ses derniers rivaux, Marc Antoine et Cléopâtre. Soit une histoire qui se déroule entre -323 et -31. Imaginez la même chose de 1700 à nos jours, ou de la découverte de l'Amérique à la Révolution Française. Vous voyez tout de suite l'ampleur du pari. Comme l'excellent livre d'Edouard Will, Histoire politique deu monde hellénistique, Green aborde les affres diplomatico-militaro-stratégiques d'un temps qui vit l'apogée de la puissance hellénistique puis son déclin et sa disparition, sous les coups répétés de l'impérialisme romain. Mais il va plus loin. Parle des sociétés, des économies, des arts et lettres, des sciences. Il traite de ce temps comme un tout. Et le moins que je puisse dire, c'est qu'il s'en sort admirablement. Je ne suis pas un fin connaisseur de l'Antiquité. J'ai beaucoup lu d'ouvrages sur la République romaine et son dernier siècle, mais mon regard n'a jamais eu l'occasion de porter ailleurs. Grâce à Peter Green, mon esprit est déjà plus éclairé.


alex-green.jpg

Je saluerai d'abord le très bon travail de mise en forme réalisé par les éditeurs français. L'admirable collection Bouquins est coutumière du fait. Une chronologie très complète, un dictionnaire des personnages, 300 pages de notes de bas de page, une bibliographie riche et un index bien pensé encadrent les 37 chapitres du livre et les complètent le mieux possible. Car soyons honnêtes, cet âge de l'humanité est tombé dans un relatif oubli. Notre civilisation retient mieux les balises de cette époque que son contenu, l'épopée glorieuse du jeune conquérant macédonien et la terrible guerre civile romaine. Par le talent des historiens antiques (Polybe, Plutarque, Tite-Live) et par celui des dramaturges modernes (Shakespeare notamment), les moments les plus marquants de l'histoire de la fin de ce temps nous sont restés. César, Antoine, Octave-Auguste, Cléopâtre sont demeurés dans les mémoires collectives occidentales. Mais qui se souvient encore de Ptolémée Ier, d'Antiochos III, d'Eumène de Pergame ou de Mithridate VI du Pont? Les siècles ont recouvert d'une épaisse poussière la plupart des évènements de ce temps. Un lecteur contemporain pourrait s'imaginer que cette période n'a que peu d'intérêt : pas de conquérants mythiques, pas d'aventures formidables aux confins du monde connu, pas de lutte à mort pour le contrôle d'un empire mondial, etc... Et pourtant, aux niveaux socio-culturels et artistiques, cette période est une des plus fascinantes qui soit. Peter Green, sans trop appuyer dessus, identifie des ressemblances troublantes entre cette période et la nôtre, traçant ainsi des parallèles surprenants entre le monde hellénistique et les temps immédiatement contemporains : équilibre des puissances, conservation et appropriation permanente d'un immense patrimoine classique, repli de l'individu sur lui-même - du citoyen grec ultra-politisé d'Athènes à l'ego épicurien, stoïcien ou platonicien aux préoccupations métaphysiques et individualistes.

Il est particulièrement difficile de résumer une telle oeuvre. Ce serait pour moi retracer la destinée des peuples hellénistiques durant trois siècles. Je vais essayer de reprendre les points qui m'ont paru les plus saillants. Peter Green va plus loin ici que la stricte (et ennuyeuse) litanie des évènements politiques et militaires. Il consacre, pour chaque partie, deux ou trois chapitres au cadre historique avant de plonger plus avant dans des approches thématiques, sociétales, économiques ou philosophiques. Il faut dire que ce temps est particulièrement complexe à comprendre. Suite à la mort prématurée d'Alexandre le Grand, ses généraux, les Diadoques (du grec Diadochoi, les successeurs) se déchirent rapidement. D'un côté ceux qui veulent prendre le contrôle de tout l'Empire, de l'autre, ceux qui leur résistent. Successivement, les tenants de l'unité de l'Empire d'Alexandre sont éliminés, dans une sorte de jeu mécanique, par leurs rivaux. Le système hellénistique est avant tout une recherche d'équilibre politique. Perdiccas, Eumène, Antigone le Borgne puis, plus tardivement, Lysimaque périssent d'avoir voulu élever leur puissance au-dessus des autres. Un peu comme les empires continentaux depuis le XVIIIe siècle ont été vaincus par la coalition de leurs potentielles victimes (France napoléonienne, reichs bismarckiens et hitlériens, URSS -même s'il n'y eut pas de défaite militaire-). De cette période d'intenses bouleversements naissent trois ensembles : la Macédoine originelle d'Alexandre, qui rayonne du Bosphore jusqu'aux cités grecques ; le Moyen-Orient et l'Asie mineure, ensemble hétérogène et immense aux mains des descendants de Séleucos (les Séleucides) ; l'Egypte des Ptolémées. Au vaste combat que mènent ces trois ensembles à peu près stables s'ajouteront au fil du temps les vélléités d'indépendance des cités grecques - toujours vaincues, mais jamais résignées - ; l'émergence de la puissance commerciale de Rhodes ; celle d'un nouveau royaume, créé un peu par hasard et suffisamment habile et riche pour s'étendre et rayonner culturellement, à savoir Pergame ; et enfin, suite à ses victoires sur sa rivale carthaginoise, l'apparition et l'expansion infinie de l'impérialisme romain.

Je n'entrerai pas dans les détails historiques qui marquèrent ces trois siècles. Pour résumer, je dirais que les trois grands royaumes existèrent de manière stable durant une bonne partie de la période. Ils avaient fort à faire avec les invasions de barbares, les révoltes d'Athènes, des Achéens ou de Sparte, leurs propres conflits, l'émergence subite de Pergame, Rhodes ou, vers la fin, de la Judée. Mais ils étaient tous trois trop faibles pour résister à la machine romaine. Elle se mit en branle vers le début du IIe siècle avant Jésus-Christ et les royaumes hellénistiques ne purent lui résister. La Macédoine tomba la première, victime de ses vélléités conquérantes sur les cités grecques. Les Séleucides s'épuisèrent dans des campagnes à l'est, en Asie mineure, en Egypte et, après avoir été repoussés par Rome, leur empire se désagrégea jusqu'à disparaître. Les ptolémées furent les derniers à résister, sous l'égide de Cléopâtre VII. A Actium, c'en était fini pour l'Egypte indépendante. Les romains avaient en outre hérité de Pergame et vaincu Mithridate, roi du Pont, et dernier rival de valeur qu'ils connurent avant l'Empire. Le triomphe du système républicain et élitaire romain sur des monarchies beaucoup trop liées à la valeur ponctuelle de ceux qui les dirigent est d'ailleurs à mon sens une des clés de la période. Les Cités disparurent suite à leurs luttes acharnées et à la réappartion de grandes monarchies. Celles-ci ne purent rien face à l'admirable stabilité politique, aux mérites et aux talents d'une élite plurielle et relativement ouverte (comparé aux dynasties grecques bien sûr). Je vois ici une fracture entre systèmes politiques particulièrement enrichissante intellectuellement : dépassées par les monarchies géantes et par leurs faiblesses internes, les Cités grecques furent un moment de l'histoire du monde méditerranéen. La République romaine et l'Empire qui en découla furent la solution à l'éternel recommencement des grandes monarchies, scandé par l'irruption de tel ou tel conquérant et par le déclin inéluctable que suppose un système absolutiste, lié à la valeur de son monarque. Ce fut un réel saut qualitatif de l'histoire humaine, le passage à autre chose. Un empire universel qui irriguerait bien après sa disparition les pensées et les politiques humaines.
Je dresse ici un rapide panorama de l'histoire de ce temps. Il ne saurait évidemment remplacer la narration de Peter Green. Il produit des efforts méritoires pour rendre ce temps un peu plus clair aux yeux du lecteur. Il n'y parvient pas toujours : les affres dynastiques des Ptolémées - qui portent tous le même nom et se marient entre eux en permanence - ou des Séleucides sont très complexes. Et même le meilleur vulgarisateur s'y perd parfois.

Ne parler que de politique et de diplomatie serait passer cependant à côté du meilleur de ce livre. Peter Green balaie tous les champs sociaux de l'âge hellénistique. Au gré, évidemment, de nos sources, parfois lacunaires. Les royaumes indo-bactriens en Perse et en Inde sont par exemple rapidement expédiés, faute de documentation suffisante. Les descriptions de la société sont toujours remises dans le contexte des sources : telle archive du désert égyptien ne suffit pas à émettre une généralisation sur la civilisation hellénistique en son ensemble ; le jugement d'une oeuvre artistique se construit parfois sur des données particulièrement fragmentaires et incomplètes. Cependant, le lecteur néophyte peut se faire une bonne idée des sociétés grecques, ou tout du moins des modes de pensée des classes supérieures. Il est de toute manière difficile de savoir réellement, faute de documentation, ce que vivaient, ce que pensaient, ce que ressentaient les paysans ou les esclaves de ce temps.

pergame-site.jpgEmergence d'une monumentalité inhumaine, ici à Pergame

Je me rends compte qu'il m'est difficile de parler de ce livre sans essayer d'en détailler l'ensemble des considérations. Je vais donc utiliser queques exemples. L'individu grec classique, celui de l'Athènes, de la Sparte du IVe siècle, était un citoyen. Inclus dans la politique de sa collectivité de taille limitée, il participait à la vie de la Cité et exerçait des fonctions au plus haut niveau. Avec l'extension démesurée du monde grec, la naissance de monarchies immenses, l'individu perd sa place de citoyen. Confronté à l'arbitraire du pouvoir absolu, il se replie sur une sphère intime et métaphysique. De là naissent des philosophies peu politisées, de retrait du monde, comme l'épicurisme. Ou des pensées du consentement aux choses telles qu'elles sont, des conservatismes, comme le stoïcisme. Ne pouvant plus participer à la politique de son Etat, ne pouvant plus influer sur la dimension collective, l'homme revient à la sphère privée. L'art qui découle de cette tendance sociale en est le témoin : piéces de théâtre neutres politiquement, aux formes identiques et aux thèmes répétitifs - contrairement aux tragédies classiques -, philosophies individualistes, absence d'innovation et de recherche de la rupture (ou de la Révolution). Certaines explications de Green sont lumineuses. Il compare par exemple l'architecture classique athénienne et celle de Pergame, profondément hellénistique. Les ressemblances apparentes entre les deux sont en fait des illusions. Là où l'architecture et l'urbanisme athénien intégraient le citoyen dans des structures de taille humaine, aux fonctions politiques et sociales bien établies, Pergame verse dans le gigantisme, la monumentalité coupée de la vie sociale de la cité et du royaume. Les monuments de ce temps n'ont plus de rapport avec l'individu. Ils sont le témoin de l'aspiration à la puissance des monarques. Ils témoignent de la grandeur d'un Etat, pas de la cohésion d'une collectivité. Le colosse de Rhodes, le phare d'Alexandrie, comme la plupart des merveilles de l'Antiquité datent de cette époque. Elles produisent un effet d'écrasement finalement peu éloigné de ce qu'évoquent les productions des grands Etats contemporains (on pense notamment aux réflexions de Speer sur l'architecture pendant les années 30, au gigantisme stalinien, etc...). L'architecture n'a plus de fonction politique démocratique, mais un rôle de représentation, de prestige. Le retrait de l'individu de la sphère publique est consacré par la production de ce temps. Que faire dans un monde qui vous échappe? Trouver l'harmonie, l'ataraxie, l'absence de douleur dans une vie privée éloignée de toute préoccupation immédiatement collective. La production de ce temps est la conséquence logique de la dépossession politique de l'individu.

L'essor de l'épicurisme, philosophie présentiste, en est une autre illustration. Vivre sans douleur, dans l'instant, sans recherche inutile sur ce qui fut ou sur ce qui sera, hors des réalités politiques, voilà bien un leitmotiv de ce temps (et du nôtre?). L'épicurisme originel n'est pas une recherche du plaisir, c'est une recherche de la spontanéité, de l'absence d'émotions, de la vie telle qu'elle se présente. Nulle contestation ne peut en naître. Et ses disciples ne nuisaient aucunement aux monarques de ce temps. Le stoïcisme connut pareil développement mais pour d'autres raisons. Profondément conservateur, délié des obligations politiques idéales de Platon, il est avant tout un consentement au monde. Une acceptation des charges qui pèsent sur l'individu. Faite d'honneur, d'austérité, de morale, cette philosophie insistait sur l'acceptation du monde. Et consacrait l'univers présent sans lui donner de transcendance. Le terrain était d'ailleurs préparé pour l'émergence d'une philosophie transcendante, d'une religion donnant un cadre plus clair que ces deux philosophies individualistes : le christianisme. C'est un des autres fondements de ce temps : la religion y est peu présente. Par habitude, on continue à révérer les personnages divins, mais ceux-ci sont le plus souvent considérés comme d'anciens humains mythifiés dans les temps ancestraux. Et ils sont finalement comparables aux surpuissants monarques des royaumes hellénistiques, que l'on idôlatrera comme on adorait les vieilles Artémis et Athéna, les anciens Poséidon et Apollon. Des cultes de la personnalité démesurés émergent dans ce monde désenchanté. N'y a-t-il pas là encore des proximités avec les temps contemporains?

J'ai essayé ici de donner quelques illustrations de la portée intellectuelle de cet ouvrage. Je ne suis pas persuadé d'y être parvenu. Mais que mon lecteur en soit assuré, je tiens cette histoire de l'âge hellénistique pour un des plus stimulants, un des plus passionnants livres d'histoire qu'il m'ait été donnée de lire. Et ce même si certains passages demandent une attention particulièrement soutenue : je pense notamment au chapitre sur les mathématiques, ou à celui portant sur les sciences de ce temps. Néanmoins, accessible à l'honnête homme, solidement charpenté pour le spécialiste (les notes de bas de page sont à cet égard fascinantes), ce livre est la clé d'entrée idéale pour qui veut mieux comprendre le monde antique... et même le nôtre.

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29 janvier 2008 2 29 /01 /janvier /2008 22:00
Parfois, j'achète des livres, je les commence, et je les abandonne sans les finir. Quelques temps plus tard, alors que le souvenir des pages lues s'estompe dans ma mémoire, j'y reviens. Sans trop me rappeler pour quelles raisons j'en ai interrompu la lecture. Parfois, cela aboutit à de vraies surprises : pourquoi donc n'ai-je pas fini? D'autres fois...hum... et bien je réponds sans vrais problèmes à cette question. C'est le cas du livre du jour. Arrêté autour de la centième page et jamais repris, en 2005, j'ai décidé, près de trois ans plus tard, de le lire enfin intégralement. Nous voici plongés dans une histoire d'espionnage, de contre-espionnage, de manipulation diplomatico-militaire en pleine seconde guerre mondiale. L'enjeu : la destinée de l'Europe. Les moyens : secrets, dissimulés pendant soixante ans par le Royaume-Uni. Les protagonistes : les dirigeants britanniques et nazis. L'affaire : le départ  vers l'Angleterre, inexpliqué, solitaire, du bras droit de Hitler, Rudolf Hess, en plein conflit. Ces quelques éléments paraissent prometteurs. Paraissent seulement.

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Martin Allen a entrepris ici une enquête longue de deux ans dans les archives anglaises et allemandes afin de trouver une réponse à la question jamais élucidée : pourquoi Rudolf Hess est-il parti en Ecosse en mai 1941? Pendant les quarante-six ans que dureront sa détention, jusqu'à son suicide à la prison de Spandau en 1987, Hess se taira. Aucun officiel britannique ne dérogera à la version officielle et commune : Hess, devenu fou, est parti de son plein gré négocier la paix seul avec Londres. Sauf que la vérité est beaucoup plus compliquée que cela. Et malgré ses efforts méritoires pour déméler l'écheveau de ces tractations secrètes, Allen ne parvient pas totalement à les éclaircir. La faute à un style oscillant entre le récit historique et le romanesque mal maîtrisé. Il ne cède certes pas à la tentation de raconter d'éventuels dialogues imaginaires. Il n'ajoute rien à ses sources. Mais il va d'un interlocuteur à l'autre, va en avant, revient en arrière, complexifiant inutilement son propos. En outre, pour des raisons d'accès aux sources, certains éléments restent dans l'ombre (jusque 2017). Et le lecteur moyennement concerné par la suite concrète d'évènements qui poussèrent Hess à se jeter dans la gueule du loup s'ennuira vite. Ce fut mon cas. Cependant, je vais essayer de résumer ce que j'ai compris de cette opération.

Rudolf Hess, présent en filigrane dans ce livre, est un des premiers compagnons de Hitler. Fils d'un marchand ruiné par la guerre, aviateur en 14-18, il rejoint rapidement le parti nazi. Devenu un des proches du futur Führer, il fait partie du putsch raté de 1923 qui envoie à la forteresse de Spandau le leader nazi. Il l'y accompagne et contribue à la rédaction de Mein Kampf. Il ne joue d'ailleurs pas seulement un rôle de secrétaire, mais contribue activement à l'élaboration des éléments géopolitiques de la doctrine national-socialiste. En effet, Hess est un élève du professeur Haushofer, père de la géopolitique allemande, théoricien du Lebensraum et de l'avènement des grands empires continentaux. Hitler en reprend les grandes lignes pour rédiger les passages qui concernent la politique extérieure du futur Reich. Quelques années plus tard, Hitler devient Chancelier. Histoire connue. La marche à la guerre, l'annexion de l'Autriche, des Sudètes, de la Pologne, du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Belgique, la victoire contre la France. Fin 1940, l'Allemagne domine le continent. Le Royaume-Uni, seul en guerre, dirigé par l'inflexible Churchill, continue seul le combat. Les nazis essaient, par des biais détournés, d'ouvrir des négociations concernant une éventuelle paix. L'Angleterre refuse. Cependant, la stratégie anglaise ne peut, à elle seule, renverser la puissance germanique. Il lui faut attendre l'entrée éventuelle dans le conflit des USA ou, pourquoi pas, de l'URSS. Les villes anglaises sont bombardées, le contrôle de la Méditerranée et celui du Moyen-Orient tiennent à quelques fils fragiles, la victoire paraît lointaine. Les allemands misent sur le découragement de leur dernier ennemi. Au coeur des services de renseignement britannique naît alors un projet particulièrement audacieux : faire croire aux allemands qu'une faction pacifiste va bientôt renverser Churchill et les durs du gouvernement à la Chambre.

Pour quelles raisons naît cette stratégie secrète? Depuis juillet 1940, les allemands n'ont cessé de faire comprendre à leurs interlocuteurs neutres (les diplomates en poste en Suède, la Croix-Rouge) qu'ils sont prêts à de nombreuses concessions à l'ouest pour avoir les mains libres à l'est - et ainsi attaquer l'URSS. Les anglais ont tout intérêt à faire croire aux allemands qu'ils désirent la paix. Cela permettrait de détourner l'Espagne d'une éventuelle entrée en guerre aux côtés de l'Axe - qui provoquerait immanquablement la perte de Gibraltar - ; cela permettrait aussi d'empêcher l'Allemagne d'envahir le Moyen-Orient et de tarir ainsi les approvisionnements pétroliers britanniques. La population anglaise, galvanisée par la résistance churchilienne, mais durement éprouvée par les attaques allemandes, ne saura rien de cette opération d'intoxication. L'objectif des anglais est donc de pousser les nazis à croire qu'une faction pacifiste, au demeurant inexistante, s'apprête à remplacer le gouvernement au pouvoir. Et qu'une partie de la famille royale est impliquée. Les services de renseignements de Sa Majesté utilisent le frère cadet du roi, le duc de Hamilton, l'ambassadeur d'Angleterre en Espagne, Samuel Hoare, vieux rival de Churchill, ainsi que Lord Halifax pour faire accroire leur version. Suivent des manipulations embrouillées des deux côtés. Au printemps 1941, la situation ne s'est pas éclaircie. L'Irak, victime de l'agitation nationaliste arabe, semble pouvoir, durant quelques jours, passer du côté de l'Axe ; la Yougoslavie et la Grèce sont tombées aux mains des nazis ; l'ancien Prime minister Lloyd George conteste les choix stratégiques et diplomatiques de Churchill à la Chambre ; la Luftwaffe a intensifé ses bombardements des villes anglaises. Apparemment fragilisée, l'Angleterre paraît mûre pour cette paix à laquelle Haushofer, Hess et Hitler aspirent tant. Par des canaux diplomatiques, les services secrets anglais font croire que la faction Halifax-Hoare-Hamilton s'apprête à s'emparer du pouvoir. Une réunion secrète est organisée entre un émissaire allemand et les pseudo-pacifistes britanniques.

A la mi-mai 1941, les anglais attendent le représentant allemand, sûrement un des proches de Hess, en Ecosse. Ils n'ont aucune idée de l'identité véritable de celui qui va venir évaluer les possibilités de paix. Car pendant ce temps, Hess, probablement en accord avec le Führer, a décidé de mener lui-même les négociations. Son poids politique, son importance devront enlever, dans son esprit, leurs dernières craintes aux pacifistes anglais et les pousser à agir, à renverser Churchill et à signer la paix. Car l'opération Barbarossa contre l'URSS, programmée depuis décembre, reportée suite à l'invasion de la Yougoslavie, ne peut plus être annulée. Staline sera prêt en 1942. Pour l'emporter, il faut attaquer en 1941... Hess quitte l'Allemagne seul, à bord d'un avion... A son arrivée, les anglais sont estomaqués. Ce n'est absolument pas l'homme qu'ils attendaient. Les voilà avec un poids encombrant sur les bras. Et la nouvelle se répand rapidement dans les journaux de Londres. La pseudo-faction de paix se dissout d'elle-même : l'intoxication des nazis a porté trop loin. Hess est fait prisonnier, interrogé. Hitler, sans nouvelles de lui, le déclare fou, arrête ses proches collaborateurs, comme Hess lui avait proposé de le faire en cas de piège anglais. Cependant, les conséquences du voyage de Hess sont moins graves pour les britanniques que prévu : les allemands s'attaqueront à l'URSS le 22 juin 1941, creusant leur propre tombe dans les steppes orientales.

undefinedRudolf Hess

Après guerre, Hess sera jugé par le procès de Nuremberg et condamné à la prison à perpétuité. Il ne parlera jamais des raisons tangibles qui l'ont poussé à partir seul en Angleterre. Les autres témoins nazis de l'affaire ne pourront pas parler : Hitler et le professeur Haushofer suicidés ;  le fils Haushofer - qui fut la clé d'entrée des anglais auprès du sommet de l'Etat nazi - exécuté par la SS en avril 1945 pour sa participation au complot contre le Führer en août 44. Allen semble d'ailleurs accuser ses compatriotes d'avoir maquillé le meurtre du professeur Haushofer en suicide (les historiens sont en net désaccord entre eux à ce sujet). Du côté britannique, on taira cette entreprise à moitié ratée d'intoxication : les soviétiques, soupçonneux, auraient tiré un trop grand avantage politique de la révélation de ces fourberies bien peu en accord avec la geste churchillienne de la résistance absolue. L'histoire ne sera donc révélée que bien après le suicide de Hess (1987). Par Martin Allen.

L'historien anglais n'est pas un écrivain. Dommage qu'il s'abandonne à des descriptions littéraires. Elles sonnent particulièrement faux et nuisent à la lecture. Ce serait pêché véniel si des erreurs historiques graves ne s'étaient greffées au récit : Allen parle d'application de la politique extérieure nazie en 1930 (trois avant l'accession de Hitler au pouvoir), semble placer Bakou en Bessarabie, parle du Drang nach osten contre l'Ottoman... Je soupçonne le traducteur d'avoir mal fait son travail, tellement ces trois passages sont alambiqués. Cela dit, le lecteur peut s'interroger sur le niveau d'un livre qui allie pseudo-romanesque de bas-étage, erreurs factuelles et obscurité du propos. Allen passe trop vite à mon sens sur les raisons essentielles qui expliquent le départ de Hess pour l'Angleterre, à la plus grande surprise des instigateurs du plan eux-mêmes : la lutte des chefs, cette concurrence effrénée entre hiérarques, la faiblesse psychologique de Hess (qui n'est pas qu'une simulation à destination de ses geôliers de Spandau - cf. les mémoires de Speer), l'aveuglement des nazis sur les conséquences à l'étranger de leur politique, leur profonde incompréhension des enjeux stratégiques à terme, etc... Je m'interroge d'ailleurs au final sur le sérieux réel de ce livre : les archives ne pouvant être explorées avant quelques années, je me demande si nous n'aurons pas un remake du livre, avec des éléments supplémentaires. Allen a ici essayé de prouver que l'Angleterre avait réussi à manipuler le IIIe Reich pendant la guerre. Il juge, dans un final assez ridicule, "qu'il est des secrets qu'il vaut mieux ne pas ravir au passé". Je ne vois sincèrement pas ce que le fait que le Royaume-Uni ait su se jouer des nazis pendant la guerre, pour sauver son empire - et sa peau -, peut avoir de terrible aujourd'hui. Le secret pouvait être justifié durant le conflit et dans l'immédiat après-guerre. Mais maintenant que tous les protagonistes sont morts, il était justement temps d'éclaircir ce passage trouble de l'histoire de la seconde guerre mondiale. Et ce livre tente de le faire : l'enquête est réalisée, la monographie à peu près convaincante, l'objectif à moitié atteint. Au final... décevant.


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24 janvier 2008 4 24 /01 /janvier /2008 21:45
Les éditions Fides, une maison québecoise, ont passé un accord, voilà quelques années, pour assurer la traduction d'une partie de la collection "biographies" de Penguin Books. Ces livres, vendus assez cher n'ont apparemment pas trouvé leur public en France. Les stocks d'invendus ont été vendus à "Bookan", un magasin de livres discount. C'est là que j'ai trouvé cet ouvrage, que je cherchais depuis un moment, ayant plusieurs fois hésité à le commander par internet. Après coup, je me rend compte que j'ai bien fait d'attendre, car ça n'en aurait pas valu le coup. Non que le livre soit mauvais, loin de là. Mais il fait 140 pages, avec un interligne large et des gros caractères... Il s'apparente plus à un long reportage qu'à un vrai livre d'histoire. J'espérais et je recherchais quelque chose de plus étoffé. Néanmoins, sa lecture ne fut pas inutile. Auchincloss brosse ici le portrait d'un des hommes politiques américains les plus influents du XXe siècle, Woodrow Wilson. Les biographies universitaires le concernant s'étalent en général sur trois à cinq tomes. Cet opuscule ne peut rivaliser, et se contente de donner un aperçu de la question. Car Wilson fut un personnage fascinant : universitaire, il dirigea l'Université de Princeton avant d'entrer en politique et de devenir Président des Etats-Unis. Il fut d'ailleurs l'un des deux seuls démocrates à accéder à la magistrature suprême, dans des conditions particulièrement favorables il est vrai, entre l'élection de Lincoln (1861) et la fin du mandat de Hoover (1929). Il fut aussi, et surtout, le président qui engagea l'Amérique dans la première guerre mondiale, l'initiateur malheureux de la S.D.N. et un des artisans du désastreux Traité de Versailles. Ce fut avec les Pères Fondateurs, Jackson, Lincoln et les Roosevelt, un des présidents les plus importants que connurent les Etats-Unis avant la seconde guerre mondiale, qui consacra leur ascension à un degré supérieur d'importance géopolitique.


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Wilson était un personnage étrange. Particulièrement brillant, intellectuel - ce qui est rare chez les politiciens américains -, profondément croyant, originaire du sud, convaincu de l'éminence de son rôle dans l'histoire mondiale et dans le triomphe du bien, il intrigua ses contemporains. Sigmund Freud en fit d'ailleurs un portrait particulièrement acéré, récemment réédité chez Payot. Né en 1856 en Virginie, fils d'un pasteur présbytérien, il mena une belle carrière de professeur. Spécialiste en histoire et en science politique, il publia plusieurs ouvrages qui assurèrent sa notoriété dans les milieux cultivés, oeuvre "étincelante d'intelligence" selon les mots de son biographe. Centré sur les problèmes institutionnels américains et britanniques, il apportait des réponses à la crise morale et politique que traversa l'Amérique après la guerre de Sécession. Cet âge, qui s'étend de l'assassinat de Lincoln (1865) à la guerre de Cuba (1898) est connu sous le nom de Gilded Age (l'âge doré, ou âge en toc). Pour mieux comprendre le contexte qui mena Wilson à la politique, il faut revenir aux grandes lignes de ce que fut cette époque. Après la réunification et l'assassinat de Lincoln, son successeur, Andrew Johnson refusa de briser les politiques ségrégationnistes du sud. Alors que les plus ardents républicains avaient espéré que la défaite des Confédérés serait l'occasion de réduire à néant les particularismes du sud liés à l'esclavage, Johnson temporisa. Il le fit tellement qu'il échappa de très peu à un impeachment. La fonction présidentielle sortit affaiblie de l'épreuve de force. Son successeur, le général héros de l'Union Ulysses Grant, qui avait l'opportunité de restaurer la présidence, n'en fit rien. La présidence des Etats-Unis tomba en déshérence et s'affaiblit à un point que seuls ceux qui ont connu l'immédiat après-Nixon peuvent imaginer. Des personnalités pâles se succédaient à la Maison-Blanche. Pendant ce temps, la Révolution industrielle avait permis à des hommes partis de rien de se tailler des empires : Rockefeller, Carnegie, J.P.Morgan, pour ne citer que les plus célèbres. Le pouvoir économique primait sur la politique fédérale, que personnait n'incarnait. L'arrogance arriviste et clinquante des magnats du Gilded Age signait une mise à mort des idéaux de la République.

Wilson, durant ses années de professeur, s'insurgea contre l'abaissement du système des Pères Fondateurs et proposa dans ses ouvrages une série de réformes institutionnelles. Il se rendit compte peu à peu que ses idées audacieuses pourraient être mieux portées dans l'espace public si lui-même se lançait en politique. Avant cela, il accéda à la présidence de l'Université de Princeton, à l'époque moins réputée qu'aujourd'hui. Dans ce poste stratégique, il s'essaya enfin à la politique, à modeste échelle. Une réforme des enseignements entraîna un gain de prestige et fit, à terme, de son université une rivale d'Harvard et de Yale. Le début de sa présidence fut un franc succès, mais rapidement ses défauts prirent le pas sur ses qualités. Deux projets de transformation du campus soulevèrent une vive opposition. Il essaya de trancher avec autorité, voire autoritarisme, et rompit avec la plupart de ses opposants, même ceux qui avaient été de ses proches. Convaincu d'être le porte-parole du bien et de la vertu, il assimila rapidement ceux qui exprimaient leur désaccord à des traîtres, révélant là sa rigidité psychologique et son manichéisme outrancier.

Il quitta peu après l'université. Certains démocrates du New Jersey étaient persuadés d'avoir trouvé en lui le moyen de détacher les progressistes du Parti républicain et de l'emporter au niveau local, voire au niveau national. Il est ici encore nécessaire de revenir à l'histoire Américaine. Le gilded age ne prit pas fin du jour au lendemain. Cependant la crise institutionnelle et économique qui découlait de l'affairisme et de la corruption des élites de Washington entraînèrent l'apparition de politiciens populistes et charismatiques. William Jennings Bryan, démocrate, trois fois candidat à la Maison-Blanche, trois fois vaincu, en appelait à la Bible pour lutter contre le veau d'or. Ses discours enflammaient les masses des paysans du sud, rattachés au démocrates depuis la guerre civile. Chez les républicains, le progressiste républicain Teddy Roosevelt, Président depuis 1901, luttait de toutes ses forces contre le big businness, les trusts et la corruption. L'ambiance était propice à l'émergence d'un moraliste vertueux et intransigeant. Roosevelt, très populaire, ralliait aux républicains les publics du Nord et de l'Ouest sensibles à ses thématiques populistes. Le calcul des pontes démocrates du New Jersey était de propulser Wilson au sommet, de profiter du progressisme ambiant pour conquérir la Maison-Blanche et le pouvoir. Seulement ces hommes, liés à certains trusts, escomptaient aussi beaucoup de la naïveté de Wilson et de son apparente modération réfléchie pour tirer les ficelles. Wilson devait les décevoir. Devenu gouverneur facilement, sa popularité s'élèva jusqu'à faire de lui un des principaux favoris de l'élection de 1912. Il avait déjà pris son envol contre les boss du parti démocrate local et prouvé son indépendance pleine d'idéalisme et de vertu.


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Lors des 18 précédentes élections, les démocrates avaient été vaincus 16 fois. Triomphant largement dans le sud et auprès des minorités catholiques, mais auprès d'elles uniquement (ou presque) ils ne parvenaient quasiment jamais à remporter la mise. Cette élection se présentait sous de meilleures auspices. En 1908, Teddy Roosevelt quitta la Maison-Blanche après son deuxième mandat. Son vice-président, Taft, lui succéda. Seulement à l'époque un président pouvait juridiquement exercer autant de mandats qu'il le pouvait et le voulait. Une tradition remontant à Washington faisait qu'aucun président n'avait tenté de se faire élire une troisième fois. Mais Taft n'avait pas montré assez d'empressement à appliquer la politique de Roosevelt une fois élu. L'impétueux Teddy décida alors de rompre avec les républicains et de fonder le Parti Progressiste. En ordre dispersé, les républicains perdirent l'élection. Wilson l'emporta largement sur les deux frères ennemis Taft et Roosevelt. Devenu président, il bénéficia de la restauration du rôle du président entamée par Roosevelt et l'accentua encore. Il abaissa les tarifs douaniers, instaura la réserve fédérale (la célèbre FED), ruinant le monopole financier du big business, et put ainsi se targuer d'un bon bilan économique. Au niveau international, la guerre civile mexicaine accapara son attention, le temps d'une malheureuse aventure à Veracruz. Mais ce n'était rien en comparaison des évènements européens. Résolument neutres dans la guerre qui opposait l'Alliance à l'Entente, les américains se trouvèrent peu à peu entraînés dans le conflit. Les attaques des sous-marins allemands contre les navires civils américains firent monter la tension. Réélu en 1916, il s'efforca par tous les moyens de préserver la neutralité américaine. Peu à peu les pressions britanniques et l'attitude allemande le firent basculer. En avril 1917, les USA entrèrent en guerre. Leur appui économique et militaire finit par faire pencher la balance du côté de la France et de l'Angleterre.

Les alliés étaient cependant en net désaccord quant au règlement de la paix. Wilson tenait à ses  fameux "Quatorze Points" qui constituaient un programme fort idéaliste, et se rendit à Versailles pour les faire appliquer. Les lecteurs savent quelle catastrophe ce traité engendra. Mal construit, partagé entre un idéalisme de principe et un cynisme des mesures, il ne régla que provisoirement le destin de l'Europe. Le Président avait cependant l'impression d'avoir acquis gain de cause. Seulement, l'adhésionà  la S.D.N, dont il avait impulsé la création ne fut jamais votée par le Sénat américain. Sous la conduite d'Henry Cabot Lodge, leader de l'opposition républicaine au Sénat, le Traité de Versailles fut repoussé. Cet échec fut largement la conséquence du refus de Wilson de transiger et de négocier avec ses opposants. Il signa ici la fin de sa carrière politique. Victime d'une attaque cérébrale grave en septembre 1919, il occupa la présidence sans plus exercer le pouvoir jusqu'à l'échéance de son mandat en 1920. Il mourut en 1924.


wilsonfreud.jpgUne autre lecture, une vision plus radicale de l'homme, qualifié de malade mental, d'idéaliste pitoyable, de menteur instable et de dévot aliéné


Un aspect fascinant du président Wilson, au-delà du rôle historique qu'il eût à jouer (j'ai tenté d'éclaircir ici certains points obscurs, passant rapidement sur les aspects les plus connus), ce fut sa personnalité. Que Sigmund Freud se soit intéressé à son cas n'est pas sans raison. Vertueux jusqu'au manichéisme, intellectuel jusqu'à l'idéalisme le plus déconnecté de la réalité politique, croyant jusqu'au fanatisme, brillant intellectuel durci par l'orgueil, Wilson se révèle très différent de ceux qui le précédèrent et de ceux qui lui succédèrent. Rarement un président des Etats-Unis aura été aussi moraliste, raisonneur, intransigeant, persuadé d'être le vecteur du Bien dans la lutte contre le mal. Ses attaques cérébrales, selon Auchincloss, ne firent qu'accuser les traits les plus insupportables de son caractère. Son entourage,
surtout ses femmes successives, en adoration devant sa personne, aggrava encore ses défauts. Parangon de vertu, il était l'homme de principes sacrés et bibliques dans un monde qui ne les craignaient plus. Persuadé d'être la voix du Bien et de Dieu jusqu'à la démesure, il finit par échouer. Ses Quatorze points étaient inapplicables, les puissances européennes ne voulaient pas en tenir compte. La SDN, l'idée d'une paix collectivement assurée par les Etats, violait les principes isolationnistes chers aux américains. L'accroissement du rôle de la Présidence dont il fut responsable s'échoua un temps dans les sables de l'affairisme et de l'inaction, avant qu'un autre que lui ne la relève, douze ans après, durablement cette fois-ci, grâce au New Deal. Le progressisme qu'il avait pu en partie incarner sombra avec la candidature LaFollette en 1924 et laissa place aux Années Folles chères à Babitt. Pourtant, il fut un bon Président de guerre. Il sut diriger la nation habilement avant l'entrée dans le conflit et la mener à la victoire. Ses quelques réformes économiques ont encore des ramifications aujourd'hui. Et l'héritage de sa pensée est toujours présent dans l'Amérique contemporaine. Ne disait-on pas de Bush Jr qu'il était le représentant du Wilsonisme botté, c'est à dire d'un idéalisme manichéen prêt à faire la guerre pour atteindre ses buts vertueux?

La biographie de Louis Auchincloss, qui tient plus du portrait que d'autre chose, éclaire quelques aspects méconnus de la personnalité de Wilson. Il présente, synthétiquement, ce que fut pour l'Amérique cet intellectuel aux fines lunettes d'acier dans une époque d'hommes de guerre et de combattants. Dans l'histoire américaine, le chapitre Wilson est contrasté. Mais il compte. Et Auchincloss réussit à nous le faire percevoir. Cependant, j'estime que le lecteur novice en histoire politique américaine aura quelques problèmes à saisir d'emblée le contexte de la Présidence Wilson. Pour une fois, dans une recension, j'ai été contraint d'illustrer l'arrière-plan pour pouvoir m'expliquer sur le fond. Malheureusement, en 140 pages, l'auteur ne pouvait guère faire mieux. D'autant plus qu'il se perd parfois dans des considérations beaucoup trop étendues sur la vie privée de Wilson, sur ses aventures féminines (étrangement peu en rapport avec la vertu outrancière de ses principes), sur la dualité de son psychisme. Le survol est le principal défaut de l'ouvrage : faire trop court c'est aussi perdre du sens. Ce livre est malheureusement le seul de son genre disponible en français. Ce qui en fait, malgré ses défauts évidents, de facto, le meilleur sur le sujet.
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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 18:30
J'en arrive ici à ma dernière recension d'un livre lu en 2007. Oui, j'ai un peu de retard. Quelques menus problèmes de santé et un travail un peu plus chronophage que de rigueur m'ont empêché d'avancer au rythme que j'aurais voulu mien en ce début 2008. Cependant, je parviens encore à mettre à jour régulièrement ce blog. C'est un rendez-vous important qui me permet désormais, je m'en rends mieux compte, de revenir sur mes lectures et de les aborder avec un peu de recul. Fermer un livre, l'achever, laisse une première impression qui s'affine lorsque je me replonge dans mes souvenirs et feuillette de nouveau celui qui fut le compagnon de plusieurs heures. Comme je l'indique dans mon nouvel avant-propos, je ne cherche pas ici à suivre le buzz médiatique qui accompagne souvent la sortie d'un livre. J'ai un programme de lecture très éclectique et peu lié aux considérations de l'instant présent. Il s'agit, je pense, de réintroduire un peu de profondeur dans la superficialité du zeitgeist, au présentisme parfois obsessionnel : ce qui est ancien, ce qui n'est pas dans l'agenda, a tout autant sa place que ce qui vient d'être publié. Point de dogmatisme. J'ai chroniqué des livres très récents, et j'en chroniquerai d'autre. Mais jamais au point d'en faire un principe. Rester libre autant que faire se peut, un joli programme! Je reviens donc à la littérature avec ce roman du Prix Nobel de littérature américain John Steinbeck. Surtout connu pour Les raisins de la colère, Des souris et des hommes ou A l'est d'Eden, il a cependant publié au long de sa carrière des romans généralement considérés comme mineurs qui ne manquent pourtant pas d'intérêt. C'est le cas de celui-ci, absent de la bibliographie de l'auteur consignée dans l'encyclopédie de la littérature (collection livre de poche)

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Ce roman raconte une poignée de journées vécus par un échantillon de la société américaine, réunis par la contingence dans un même espace. Quelques individus, usagers d'une ligne de bus californienne, se trouvent, par la faute d'une casse mécanique et d'un accident climatique, isolés ensemble loin de la société. Thème romanesque classique, la rupture introduite ici va provoquer l'effervescence de cette mini société, chacun remettant en cause sa propre existence pendant cette brève parenthèse, avant de reprendre le cours de ses activités. Steinbeck réunit ici une galerie de personnages extrêmement typés : un chauffeur de bus d'origine mexicaine, sa femme alcoolique, un apprenti mécano adolescent et concupiscent, une strip-teaseuse, un couple de bourgeois conformistes et leur fille étudiante, un représentant en farces et attrapes, un vieillard acariâtre, une naïve serveuse de bar rêvant d'Hollywood, ... Tous sont, à leur manière, des ratés, des victimes du rêve américain sous toutes ses formes. La panne de l'autocar va être l'occasion pour chacun d'essayer de transformer son existence, par des choix radicaux qu'une situation normale n'aurait pas permis. Le titre du roman est d'ailleurs fort bien trouvé : ces naufragés de l'autocar ne le sont pas seulement parce que leur bus s'immobilise dans la boue causée par une crue torrentielle, non, ils le sont tous à plus ou moins grande échelle dans leur propre vie. Le chauffeur, Juan, dont la vie est rythmée par les transports de voyageurs souvent antipathiques et égocentriques, se demande comment il en est arrivé à cette médiocrité. Sa femme, jalouse, noie dans l'alcool son angoisse d'être quittée. Les bourgeois et leurs conventions hypocrites vivent une existence glaciale et fausse, leur fille vit la classique crise du jeune adulte voulant voler de ses propres ailes, l'adolescent est obsédé par la chair à laquelle son acné ne lui permet pas d'accéder, la serveuse a l'esprit embrumé de chimères bovarystes et cinématographiques, la strip-teaseuse voit avec dégoût son sex-appeal attirer autour d'elles tous les hommes, le vieillard, menacé par des accidents cérébraux répétés se sait prêt de la mort, le représentant en farce et attrapes fait semblant de vivre pour son travail. Tous sont pathétiques avant même de prendre l'autocar.

Leur misère n'est pas noire. Elle n'est même pas, pour la plupart d'entre eux, économique. C'est une misère spirituelle de petit-bourgeois aux rêves étriqués, d'individus emportés par le tourbillon d'une vie choisie par défaut, qui se débattent dans le petit marigot de leur médiocrité. Tous ces individus égocentriques, aux rêves et aspirations brimées vont réagir à la situation inédite qui se présentent devant eux. Tous vont plus ou moins échouer. Rompre avec sa propre petite existence nécessite des efforts, un héroïsme personnel qu'aucun ne possède au fond de lui. Et si on sent chez les plus vieux le conformisme à ses non-choix de jeunesse, on sent chez les plus jeunes les prémisses d'un inéluctable ratage, que Steinbeck ne présentera pas, mais laissera présager. La petite bonne, qui est amoureuse de Clark Gable, s'imagine star à Hollywood et sympathise, les yeux pleins d'admirations, avec la charnelle strip-teaseuse. Le lecteur n'a pas besoin de beaucoup extrapoler pour l'imaginer au mieux serveuse d'un motel minable des suburbs de L.A., au pire vendant son corps pour subsister. Son inconscience attristera le lecteur, moins naïf, et qui sait toutes les embûches qui stopperont la pauvre serveuse bien avant qu'elle ne puisse devenir une star. Dans l'échec nécessaire qu'est toute vie, des choix se présentent pourtant à certains. Le couple bourgeois passe près de la rupture, leur fille étudiante se réfugie une nuit dans les bras du chauffeur, ce dernier plante le bus et abandonne ses voyageurs avant de piteusement faire marche arrière, ligoté par ses engagements et son incapacité à réellement rompre avec ce présent mal-aimé qui est malgré tout une part indissociable de son existence.

steinbeckphot.jpgSteinbeck

Ce roman de l'échec n'est pourtant pas un roman triste. Il n'a pas en lui le désespoir glauque houellebecquien. Au contraire, ce naufrage de l'autocar recèle de merveilleux instants de drôlerie. Ces moments que chacun connaît, lorsque le ridicule s'y dispute avec le pathétique jusqu'à éclairer le visage du lecteur d'un sourire entendu. Car leurs drames sont ceux de toute existence moyenne : mauvais choix, mariages malheureux, frustrations professionnelles ou sexuelles,... Rien de bien grave en somme. Chacun porte sa propre croix, mais il ne faut pas en faire un drame : la vie n'est qu'une comédie. Cet effet est accentué par la merveilleuse écriture cinématographique de Steinbeck. J'ai rarement lu un ouvrage qui me fasse visualiser si bien ce qu'il s'y passe : une écriture classique, néanmoins lumineuse, qui ressemble à un enchaînement de plans et de séquences. En un peu moins de 400 pages, John Steinbeck livre ici une performance à peu près parfaite : le thème est un tel exercice imposé, empli potentiellement de chausse-trappes, de déjà-vu et de lieux communs qu'il faut un vrai talent pour en extraire quelque chose. Dans les limites qu'il s'est assigné, Steinbeck est excellent. Le roman pourra paraître facile, les personnages artificiels, les situations convenues, les problèmes attendus, leurs solutions plus encore, et pourtant je ne peux m'empêcher d'apprécier ce roman. C'est justement son aspect conventionnel qui en fait à mon sens un sommet d'exercice littéraire. Comme le disait Romain Gary à la fin des Cerfs-volants : "on ne saurait mieux dire". Je conçois aisément qu'aux côtés d'autres chefs d'oeuvre d'une littérature plus ambitieuse et intellectuelle, ce roman fasse pâle figure. Et pourtant, plus j'y repense, plus je trouve que dans son approche classique, visuelle, en quelque sorte stéréotypée, ou plutôt créatrice de stéréotype, il transcende les conventions du genre et force l'auteur qui, demain, s'attachera à traiter un tel thème à faire preuve d'une grande originalité. Quant à l'échec de ces personnages communs, d'une banalité si confondante qu'elle en devient irréelle, il nous rappellera fort justement à quel point nos vies aussi sont faillibles. Nous devons les regarder en face sincèrement, lucidement et modestement jusqu'à en limiter le plus possible la vaine croyance en notre propre exceptionnalité, fantasme que ne cesse d'exciter le singularisme individualiste ambiant. Mais chez Steinbeck, ce constat n'est pas tragique et anxiogène comme chez Houellebcq, il est gai et conscient des joies mesurées de l'existence : le vieil homme, si odieux, nous rappellera opportunément le terme naturel de cette présence au monde et la nécessaire modestie qui doit s'y attacher.



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